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Page:Revue de métaphysique et de morale, 1897.djvu/430

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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

L’observation intervenait si bien à des degrés divers, chez les générations de médecins qui se sont succédé d’Hippocrate à Aristote, que la tradition nous montre, dans l’École, les esprits divisés, suivant deux tendances contraires, en dogmatiques (lisez rationalistes) et empiristes. — Citerons-nous l’exemple d’Aristote, ses collections légendaires auxquelles tant d’autres ont collaboré, l’énorme quantité, de faits et de choses qu’il a classés ?

Les observations d’ailleurs prenaient bien vite le caractère d’expériences, et quand Aristote, par exemple, allait étudier les petits poulets dans l’œuf, n’était-ce pas là déjà de la bonne expérimentation ? La tradition s’est continuée chez les médecins, et plus tard l’un d’eux, Ménodote, ne s’essayait-il pas à formuler les principales règles de la méthode inductive[1] ? — Si de même nous considérons les astronomes qui depuis des temps immémoriaux se servaient d’instruments de plus en plus parfaits pour suivre la marche des astres avec quelque précision, comment nier le caractère scientifique de leurs observations ? et comment n’être pas tenté de prononcer le mot d’expérience, dans toute sa rigueur, quand on songe à l’ensemble de précautions que prend le savant, réglant par avance l’orientation et l’équilibre de ses appareils, pour contrôler, par l’observation d’un astre, l’exactitude d’une théorie ? Non seulement Hipparque et Ptolémée ont employé tout naturellement la méthode expérimentale, mais ils l’ont fait dans l’ordre d’idées le plus propre, par son lien étroit avec les mathématiques pures, à réagir à son tour plus efficacement sur leurs progrès. Et ce n’est pas d’ailleurs ce qui semble s’être produit. Ces deux hommes ont été grands astronomes, mais il paraissent n’avoir utilisé que des notions mathématiques antérieures[2], et la mathématique pure, après leurs travaux d’application, n’a montré aucun regain d’éclat.

2o D’une façon générale on ne niera pas que les Grecs ont observé, mais on tiendra à maintenir la distance qui sépare l’observation, si savante qu’elle soit, de l’expérimentation telle que nous l’entendons aujourd’hui. Mais laquelle de ces deux opérations se trouve donc la plus éloignée, par sa nature, des éléments logiques, rationalistes, qui semblent dominer l’intelligence des Grecs et lui donner sa tournure spéciale ? N’est-ce pas évidemment l’observation dans ce qu’elle

  1. Cf. V. Brochard, les Sceptiques grecs.
  2. Y compris la théorie des épicycles qui remonte au moins à Apollonius Cf. P. Tannery, Recherches sur l’Astronomie ancienne.