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Page:Revue de métaphysique et de morale, 1897.djvu/434

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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

s’employer ; les aveugles ne sont pas sans occupation ; les manchots même ne restent point oisifs. Leur dieu unique, c’est l’argent. Voilà la divinité que chrétiens, juifs, gens de toute sorte adorent[1]. »

De leur côté, les Romains sont aussi naturellement éloignés de toute spéculation purement théorique, qu’ils sont peu idéalistes. Leur tournure d’esprit est éminemment positive, et, à cet égard, si, comme on l’a dit tant de fois, ils Subirent l’influence du peuple qu’ils avaient vaincu, comment nier qu’ils durent aussi imprimer leur marque sur la pensée grecque ?

Enfin l’esprit même de la doctrine chrétienne n’était-il pas, lui aussi, contraire à la spéculation désintéressée, en fixant désormais les regards vers un idéal moral, d’après lequel les ignorants, les pauvres d’esprit devaient être parmi les élus du Seigneur, et en détournant les hommes de tout ce qui n’était pas véritablement utile au salut ?

Envisagées de ce point de vue, ces influences diverses, que l’on incrimine parfois séparément, ont au moins l’avantage de concorder clairement dans leurs effets, et en outre même de venir confirmer seulement une tendance qu’elles n’ont peut-être pas créée. Qu’on songe en effet à la transformation qui, dès le iiie siècle, se fait sentir dans la philosophie grecque[2]. Les historiens ont essayé d’expliquer comment tout à coup la pensée réfléchie changea d’orientation, après Platon et Aristote, et comment de la contemplation des vérités éternelles, les Écoles passèrent désormais à l’étude de cet autre problème, visant directement la conduite pratique de la vie, la recherche du souverain bien. Le fait essentiel pour nous est cette transformation elle-même. Peut-être songerait-on d’abord à en reculer la date jusqu’à Socrate, le véritable fondateur de la science morale chez les Grecs, et objecterait-on que la marche de la pensée scientifique ne semble pourtant pas s’être ralentie si tôt. Mais il faut faire une distinction : Socrate est un théoricien de la morale. En cherchant pour elle les bases d’une science, au sens propre du mot, il devait tout naturellement profiter à l’idée même et aux conditions de la Science en soi, et cela est si vrai que, entre les mains de Platon et d’Aristote[3], l’essentiel de la méthode socratique se retrouve au bénéfice, non pas de la morale elle-même, mais de la théorie de la connaissance en

  1. Lettre à Servien, citée par Renan, l’Église chrétienne, p. 189.
  2. Cf. l’introduction à la Géométrie grecque de M. P. Tannery (Gauthier-Villars 1887), qui nous a suggéré l’idée fondamental de ce travail.
  3. Cf. Boutroux, Socrate fondateur de la Science morale.