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§32 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

sens commun apparaît comme un postulat aussi arbitraire et aussi inacceptable que la fixité des espèces. Le sens commun représente et résume les opinions les plus généralement répandues dans un groupe d’individus semblables’ par l’éducation et par les mœurs. Or, ir moins d’admettre une exception singulière à tout ce que nous savons des lois qui régissent. la vie universelle, le sens commun doit varier avec tous les mouvements d’opinion qu’entraînent dans chaque groupe le développement de sa civilisation propre et le contact des groupes voisins. Ainsi la seconde moitié du xix» siècle oppose au postulat de la fixité, qui est de sens commun dans la première moitié, le postulat de la variabilité, et le fait seul de cette opposition constitue un témoignage indéniable en faveur de la thèse de la variabilité.

Si donc il est admis, et comme une vérité de sens commun, que le sens commun est susceptible de varier et qu’il reflète dans ses variations le mouvement général des idées, alors la rupture de la philosophie et du sens commun, à laquelle semblait nous condamner la tentative de l’éclectisme, ne sera pas définitive. Mais, pour qu’il y ait accord entre eux, la première -condition sera que le sens commun se reconnaisse naturellement incapable de guider la raison philosophique ; c’est d’elle, au contraire, qu’il attendra son orientation. La philosophie est bien indépendante ; eUe a le droit d’être obscure ; elle en a le devoir, pour autant qu’elle doit toujours ou s’approfondir ou s’élever. Tout ce qui n’est pas à l’avance accepté par nous et fixé en nous, nous paraît nécessairement obscur ; mais c’est cela même qui nous libère. Seulement l’obscurité définitive est Stérilité absolue ; il faut que, de cette obscurité, marque d’invention et d’originalité, la raison philosophique revienne à la clarté, marque de vérité et d’universalité. Après avoir accompli l’effort pénible et lent qui a dégagé des confusions accumulées par des siècles de tâtonnements la voie de la vérité, il faut qu’elle indique cette voie sous sa forme simple et directe, qu’elle travaille à la formation d’une conscience intellectuelle dans l’humanité. Déjà ce sont les idées philosophiques qui ont peu à peu constitué notre conscience morale un philosophe a le premier émis. cette absurdité que l’esclave était un homme au même titre que son maître, cette autre que la tolérance et la pitié marquaient la force d’âme, plus que le fanatisme et la brutalité. Dans le temps présent où l’anarchie intellectuelle décompose et dissout visiblement la société, l’oeuvre de la philosophie