Page:Revue de métaphysique et de morale, 1897.djvu/541

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L. BRUNSCHVICG. – SPIRITUALISME ET SENS COMMUN. 533 Malebranche, du mouvement pour aller plus loin, pour défaire et pour refaire notre être. Dès lors, il n’y a pas pour nous de condition fixée et arrêtée une fois pour toutes ; il n’y a pas de destinée individuelle. La fécondité de l’esprit va jusqu’à l’infini, et elle déconcerte toute prévision. On pourra deviner à l’avance la manière dont différents individus imiteront et reproduiront une idée nouvelle, ou encore on pourra énumérer après coup les éléments qui devaient entrer dans l’idée nouvelle ; mais cette idée se distingue précisément de ses éléments en ce qu’elle en est la synthèse elle est avant tout unité. Par suite, rien ne l’explique qu’elle-même, au moment où elle apparaît ; elle est un étonnement pour les autres esprits, elle est un étonnement pour l’esprit même qui la produit. Le jour où notre destinée serait fixée, c’est que l’activité efficace et originale de l’esprit se serait retirée de nous ; mais, tant que l’esprit vit, il ignoré où doit le conduire le progrès de sa logique intérieure, et ; de se découvrir ainsi soi-même a mesure qu’on se développe, c’est précisément la caractéristique de la vie spirituelle. Cette conclusion, encore une fois, ne peut manquer de rencontrer l’assentiment du sens commun, puisqu’il suffit à l’esprit d’être pour prendre conscience de son évolution continue ; elle sera également confirmée par ° l’histoire de la science et par l’expérience de la vie morale. Un jour, dans l’esprit d’un Descartes, se combinent l’analyse des anciens ét .t l’algèbre des modernes de cette synthèse instantanée sont nés de nouveaux systèmes d’idées dont les générations successives auront à approfondir les conséquences internes, sans les épuiser jamais. Et il en est de même lorsque dans l’esprit d’un Darwin les observations faites sur l’élevage des animaux domestiques sont venues rejoindre les théories des économistes l’intelligence de l’humanité en a été élargie et enrichie. D’autre part, la première règle de prudence n’est-elle pas de compter avec l’incessante modification des caractères individuels ? La plus haute règle de morale, qui unit la profondeur de la justice et la profondeur de la charité, n’est-elle pas de considérer toute personne comme capable, quel que soit son état actuel, d’atteindre et de participera la vie morale ? Car il est de la nature des idées éparses que spontanément elles se coordonnent, et la vérité dont toute intelligence est grosse surgira au jour de la conscience. L’analyse rationnelle retrouve ici l’expérience tant de fois invoquée par les docteurs de la grâce il n’y a pas de pécheur ; si abandonné de Dieu qu’il paraisse, qui ne puisse devenir un élu ;