P. LAPIE. MORALE DÉDUCTIVE. S65
contraint tandis que la loi morale nous oblige. Notre déduction est vérifiée par l’expérience.
Pourtant, il ne suffit pas de distinguer le sentiment moral de l’instinct n’allons-nous pas le confondre avec d’autres sentiments intellectuels, avec l’amour du vrai, par exemple ? Èii effet, c’est aussi l’apparente violation des principes rationnels qui pousse le savant à chercher la vérité. Un fait vient troubler les idées reçues. Ou bien ce fait est inexact ou bien les théories courantes sont fausses en tout cas, on ne saurait admettre la contradiction. Deux cristaux sont identiques, et pourtant l’un dévie à gauche, l’autre dévie à droite la lumière polarisée les mêmes causes ne produisent donc pas les mêmes effets ? Plutôt que d’admettre cette absurdité, Pasteur conteste l’identité des deux cristaux. Son état d’esprit, avant la recherche, est analogue à celui de l’homme qui se croit en présence d’une violation de la loi de justice la curiosité scientifique et le sentiment moral seraient-ils deux désirs identiques ? – Ce sont deux aspirations de même genre, mais on peut les distinguer. Le conflit d’idées peut, en effet, avoir des causes différentes. Nous supposons qu’il est soit d’origine subjective, soit d’origine objective dans le premier cas, il suffira de modifier nos idées pour lever la difficulté en les modelant plus exactement sur les choses, nous leur rendrons l’harmonie qui existe dans les choses mêmes ; dans le second cas le trouble est plus profond, il paraît être dans les choses mêmes, et il faut modifier les choses pour le détruire. Par bonheur, tandis que nous serions impuissants à modifier les objets de la recherche scientifique, nous croyons pouvoir modifier les objets de l’activité morale. Pour résoudre son problème, Pasteur ne pouvait pas ordonner aux deux cristaux supposés identiques d’agir identiquement sur la lumière polarisée ; mais nous croyons pouvoir ordonner à l’homme injuste de changer de conduite. Le conflit que la recherche scientifique veut supprimer concerne des idées qui se façonnent à l’image des objets ; le conflit que l’activité morale veut résoudre concerne des idées que nous façonnons ou croyons façonner nous-mêmes. Aussi le sentiment de l’obligation est-il plus impérieux que le sentiment de curiosité, car il dépend de nous, semble-t-il, de le satisfaire, tandis qu’il nous faut le concours des choses pour satisfaire notre amour du vrai. Ici encore, l’expérience confirme notre déduction, car nul ne se sent obligé de chercher la vérité scientifique autant que la vertu. Les caractères de l’obligation