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882 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

L’ingrédient capital, sans quoi le comique inclus n’aurait qu’un faible effet, c’est ici la forme du langage.

Lorsque Perrichon appelle son domestique et lui dit : «Jean, tu sais, j’ai sauvé un homme », il produit de lui-même aux yeux du spectateur le comique qu’il renferme. Le fond que Perrichon livre, trahit, est ce qui fait rire, non une qualité quelconque, une habileté littéraire dans son langage. Il en est de même du Géronte des Fourberies de Scapin répétant avec obstination « Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? » dans Tartuffe du bonhomme Orgon avec son mot « Et Tartuffe ? » Ces personnages sont on ne peut plus comiques, et on ne peut moins spirituels. Au contraire, prenons la fable du Renard qui a la queue coupée. Elle est excellente pour nous, cette fable, car justement elle contient côte à côte, à notre avis, du comique et du spirituel de mots et peut servir à en faire la ’différence. Le renard à la queue coupée haranguant ses collègues et leur disant ce que vous savez « A quoi sert cette queue qui s’en va balayant tous les sentiers fangeux ?. Il faut qu’on se la coupe s, ce renard, dis-je, et son discours, voilà le comique car il y a discordance entre le langage et les vrais motifs, fausseté que le patient manifeste de lui-même. Voyez, après, la réponse de l’adversaire « Votre avis est fort bon, dit quelqu’un de la troupe, mais tournez-vous, de grâce, et l’on vous répondra». Voilà le spirituel.

Ce genre d’esprit est bien du comique qu’une personne tire d’une autre et produit à ses dépens. Cependant si l’adversaire du renard à la queue coupée lui disait « Ah ! oui, nous savons, vous, vous avez la queue coupée », il ne serait que brutal ou franc. Et bien que l’inconvenance qu’il y a dans le Renard fût tout de même signalée, il n’y aurait pas là d’esprit, quoiqu’il pût y avoir du comique. Mais « ce quelqu’un de la troupe » a pris un autre tour, un autre biais, plusieurs biais même. « Votre avis est fort bon », concession apparente, approbation fausse, antiphrase. « Mais tournez-vous, de grâce », formule aimable dans la bouche qui vous assomme en même temps par le mot « tournez-vous ». Et ce « tournez-vous » qui fait image, qui suggère l’idée de toute une scène le renard forcé de se tourner, l’indécence de son derrière mis à. découvert, et toute l’assemblée éclatant en rires, en huées. Nous voyons donc très bien que l’esprit est dans la manière de relever l’inconvenance. Il y faut un biais, un tour, s’éeârtant de l’expression droite et simple et