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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

réfléchir, dire, etc., et demandons-nous ce qui fait que cette pensée, cet acte, est une pensée. Que suppose cela pour être considéré comme fait de pensée ?

Trois conditions ou éléments solidaires, dont le système constitue la nature pensante, telle qu’elle s’apparaît à elle-même dans la réflexion, ou telle que la réflexion la produit nécessairement :

1. Une représentation d’objet, ou connaissance.

2. Une affection, un état agréable ou désagréable accompagnant cette connaissance, en un mot un sentiment. La représentation, si elle n’était pas sentie, serait en l’air, abstraite, comme les idées de Platon, serait idée et non pensée. Le sentiment c’est la connaissance non en elle-même, mais dans un esprit, c’est-à-dire vivante.

3. Enfin une action sentiment et connaissance ne sauraient être indépendants l’un de l’autre : ils se déterminent, donc ils agissent, et la réflexion nous fait connaître qu’il ne saurait y avoir sentiment sans action. Le sentiment c’est le sujet encore uni à l’objet, avant la polarisation ; l’idée, c’est l’objet, l’action, c’est le sujet. Dans le sentiment, individualité pure encore en apparence ; dans l’idée, rupture de cette individualité, objectivation, c’est-à-dire analyse en vue de la synthèse, ou analyse par l’action de la synthèse, par l’application de la réflexion c’est-à-dire du tout à l’élément ; l’action est la représentation de l’unité du sentiment et de l’idée, du sentiment se développant par l’idée, c’est-à-dire de la production de l’élément par le tout. Ainsi le sujet absolu, c’est-à-dire en apparence du moins, l’indépendance parfaite, n’est en réalité que la dépendance même, et ce qui le vérifie c’est l’échec où aboutit l’effort pour saisir par la réflexion le sujet individuel : il aboutit au contraire de l’individualité, à l’impersonnel, à l’universel.

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La première notion du sentir, fournie par l’analyse réflexive, n’est pas celle de l’affection agréable ou désagréable.

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L’idée de facultés, ou de faculté unique (moi-cause de Maine de Biran), n’est pas un produit, objet immédiat de l’aperception interne. C’est une pensée, une conception, une explication, mais nécessaire à la psychologie ; elle exprime cette vérité que la pensée n’est pas un fait ou tissu de faits, ni une chose et un tissu de propriétés, ni même seulement une force (cause de mouvement).