Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/220

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reste purement individuel. Mais, le plus souvent, le doute même est contagieux presque autant que la foi, et toute personne qui, dans un milieu fervent par exemple, devient sceptique, ne tarde pas à être le foyer d’un scepticisme rayonnant autour d’elle : peut-on nier alors le caractère social de l’état de lutte interne qui est propre à chacun des individus de ce groupe ?

Mais envisageons la question d’une manière encore plus générale. Quand l’individu prend conscience de la contradiction qui existe entre un de ses jugements ou de ses desseins, ou de ses idées ou de ses habitudes — dogme, tournure de phrase, procède industriel, espèce d’arme ou d’outil, etc. — et un jugement ou un dessein, une idée ou une habitude, d’un autre homme ou d’autres hommes, il arrive de trois choses l’une. Ou bien il se laisse influencer complètement dans le sens d’autrui, il abandonne brusquement sa manière propre de penser et d’agir, et dans ce cas, il n’y a pas de lutte interne, il y a eu victoire sans combat, ce n’est qu’un des continuels phénomènes d’imitation dont la vie sociale est faite. Ou bien l’individu ne subit qu’a demi l’influence d’autrui, c’est le cas que nous venons de considérer plus haut, et le choc alors est suivi d’un amoindrissement de sa force plus ou moins entravée et paralysée. Ou bien il réagit contre l’idée ou l’habitude étrangère, contre la croyance ou la volonté qui le heurte, et affirme ou veut d’autant plus énergiquement ce qu’il affirmait et voulait déjà. Mais, dans ce dernier cas même, où il tend toutes les énergies de sa conviction ou de sa passion pour repousser l’exemple d’autrui, il y a en lui un trouble, une lutte intime, d’un autre genre, il est vrai, aussi tonifiante que la précédente était énervante. Et ce trouble aussi, encore mieux que l’autre, précisément parce qu’il est une surexcitation et non une paralysie des forces individuelles, est propre à se répandre contagieusement ; de la scission d’une société en partis. Un nouveau parti est toujours formé d’un groupe de gens qui ont adopté, les uns après les autres, les uns à l’exemple des autres, une idée ou une résolution contraire a celle qui régnait jusque-la dans leurs milieux et dont eux-mêmes étaient imbus. D’autre part, ce dogmatisme nouveau, devenu plus intolérant et plus intense à mesure qu’il se répand, suscite contre lui la coalition de ceux qui, fidèles aux traditions, ont fait un choix précisément contraire, et voilà deux fanatismes en présence.

On le voit, sous sa forme dogmatique et violente, comme sous sa