Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/221

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forme sceptique et énervée, la juxtaposition individuelle de termes opposes est sociale à la condition de se répandre imitativement. S’il en était autrement, il faudrait dire qu’il n’y a rien de social dans des faits tels que ceux-ci : la rivalité de deux langues, le français et l’allemand, le français et l’anglais, sur leurs frontières respectives, en Belgique, en Suisse, dans les îles normandes ; ou la rivalité de deux religions, pareillement limitrophes. L’une de ces langues, l’une de ces religions, empiète constamment sur l’autre, à la suite d’incessants combats qui se livrent, non pas entre hommes rivaux, mais, dans chaque esprit, dans chaque conscience, entre deux locutions rivales, entre deux croyances rivales. Est-il rien de plus intéressant socialement que ces alluvions linguistiques et religieuses ? D’oppositions psychologiques tout procède donc socialement, et c’est là qu’il convient de remonter toujours. Il n’en est pas moins vrai qu’il importe beaucoup de ne pas confondre les deux formes sous lesquelles l’opposition se présente à nous, l’une dans laquelle le combat des deux termes juxtaposés a lieu dans l’individu même, l’autre dans laquelle l’individu n’adopte que l’un des deux termes opposés, quoiqu’ils soient tous deux juxtaposés en lui, et où le combat, par conséquent, n’a lieu que dans ses rapports avec d’autres hommes. On peut se demander à ce sujet, et je me le suis demande depuis longtemps dans l’un de mes premiers articles , ce qu’il y a de pire pour une société, d’être divisée en partis ou en sectes qui se combattent de leurs programmes et de leurs dogmes opposés, en peuples qui guerroient, ou d’être composée d’individus en paix les uns avec les autres, mais individuellement en lutte chacun avec soi, en proie au scepticisme, à l’irrésolution, au découragement. Vaut-il mieux cette paix de surface qui recouvre l’état de guerre sourd et continu des âmes aux prises avec elles-mêmes, ou dirons-nous que les guerres les plus meurtrières, les guerres religieuses même et tous les accès du délire politique dans les révolutions les plus sanglantes sont préférables à cette torpeur ? S’il était vrai que nous n’avons à opter qu’entre ces deux solutions, avouons que le problème social serait étrangement ardu. Or ne semble-t-il pas qu’il en soit ainsi et que les hommes ne cessent momentanément de se faire la guerre sur les champs de bataille ou de se combattre avec acharnement dans