l’arène de la concurrence industrielle ou de la compétition politique, que pour retomber dans le malaise profond des âmes anxieuses, indécises, découragées, hésitantes entre leurs prêtres et leurs docteurs qui se contredisent, entre les vieilles maximes d’une morale respectée de bouche et les pratiques contraires d’une morale qui n’ose encore se formuler ? Et n’est-il pas manifeste que, lorsque les hommes mettent fin à leur écartèlement intérieur, à leurs ballottements, à leurs tiraillements de doctrines et de conduites contradictoires, c’est pour se ranger en deux camps suivant l’option différente qu’ils ont faite, et se remettre à guerroyer ? Entre la guerre extérieure ou la lutte interne, nous n’aurions qu’a choisir. Ce serait le dilemme offert aux derniers rêveurs, — dont je suis — de la paix perpétuelle.
Mais la vérité, heureusement, est moins triste et moins désespérante. L’observation montre que tout état de lutte, extérieur ou intérieur, aspire toujours et finit par aboutir à une victoire définitive ou à un traité de paix. Pour la lutte intime, sous quelque nom qu’on la nomme, doute, irrésolution, angoisse, désespoir, cela est évident : la lutte ici apparaît toujours comme une crise exceptionnelle et passagère, et nul ne s’aviserait de la considérer comme l’état normal, ni de la juger préférable avec ses agitations douloureuses à la paix soi-disant amollissante du travail régulier sous l’empire d’un jugement bien assis et d’une volonté décidée. Mais, pour la lutte extérieure, pour la lutte entre hommes, en est-il autrement ? L’histoire, bien comprise, fait voir que la guerre évolue toujours dans un certain sens, et que cette direction, cent fois reproduite, facile à démêler en somme à travers les broussailles et les enchevêtrements historiques, est propre à nous faire augurer sa future disparition après sa raréfaction graduelle. Par suite du rayonnement imitatif, en effet, qui travaille incessamment et souterrainement, pour ainsi dire, à élargir le champ social, les phénomènes sociaux vont s’élargissant, et la guerre participe à ce mouvement. D’une multitude infinie de très petites, mais très après guerres entre petits clans, on passe à un nombre déjà bien moindre de guerres un peu plus grandes, mais moins haineuses, entre petites cités, puis entre grandes cités, puis entre peuples qui vont grandissant, et enfin on arrive à une ère de très rares conflits très grandioses, mais sans férocité aucune, entre des colosses nationaux que leur grandeur même rend pacifiques.
Je m’arrête pour remarquer que, par ce passage du petit au grand,