Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/338

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probablement la constituent nous semblerait plus fascinateur que le jeu, assez simple après tout, des grandes toupies célestes !

Si du monde physique nous passons au monde vivant, ici encore nous constatons que la première démarche de la raison a été de concevoir une grandiose et unique adaptation, celle de la création organique tout entière, végétale ou animale, aux destins de l’humanité, à sa nourriture, à son amusement, à sa protection, à l’avertissement de ses périls cachés. La divination augurale et le totémisme, répandus chez tous les peuples à l’origine, n’ont pas d’autre fondement. Et les progrès du savoir ont eu beau dissiper cette illusion anthropocentrique, il en est reste quelque chose dans l’erreur savante, si longtemps régnante parmi les naturalistes philosophes, de se représenter la série paléontologique comme une ascension en droite ligne vers l’homme, et de regarder chaque espèce éteinte ou vivante comme une note dans un grand concert qu’on appelait le Plan divin de la nature, édifice idéal et régulier dont l’homme était le sommet. Péniblement, à force de démentis accumules par l’observation, il a bien fallu se déprendre d’une idée si chère et reconnaître que ce n’est point du tout dans les grandes lignes de l’évolution des êtres, si ramifiée et si tortueuse, ni même dans les grands groupements de leurs espèces différentes en une faune ou une flore régionale, malgré l’adaptation remarquable révélée par les cas de commensalisme ou les rapports des insectes avec les fleurs de certains végétaux, que la nature déploie le plus sa merveilleuse puissance d’harmonie, mais que c’est surtout dans les détails de chaque organisme. Les cause-finaliers, je crois, ont compromis l’idée de fin pour en avoir fait un emploi abusif, erroné, mais non pas excessif ; au contraire, je leur reprocherais plutôt d’en faire un usage beaucoup trop restreint, avec leurs habitudes unitaires d’esprit. Il n’y a pas une fin dans la nature, une fin par rapport à laquelle tout le reste est moyen ; il y a une multitude infinie de fins qui cherchent à s’utiliser les unes les autres. Chaque organisme, et dans chaque organisme chaque cellule, et, dans chaque cellule peut-être, chaque élément cellulaire, a sa petite providence à soi et en soi. Ici, donc, comme plus haut, nous sommes conduits à penser que la force harmonisante — celle du moins dont la science positive a le droit de s’occuper, sans nier nullement la possibilité d’une autre — est non pas immense et unique, extérieure et supérieure, mais infiniment multipliée, infinitésimale et interne. La source, à vrai dire, de toutes les harmonies