Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/342

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de deux hommes dont l’un répond, en parole ou en fait, à la question d’un autre, verbale ou tacite ? Car la satisfaction d’un besoin, tout comme la solution d’un problème, c’est la réponse à une question. Dirons-nous donc que cette harmonie élémentaire consiste dans le rapport de deux hommes dont l’un enseigne et dont l’autre s’instruit, dont l’un commande et dont l’autre obéit, dont l’un produit et l’autre achète et consomme, dont l’un est acteur, poète, artiste, et dont l’autre est spectateur, lecteur, amateur ? ou bien, qui collaborent ensemble à la même œuvre ? Oui, et, quoique ce rapport implique celui de deux hommes dont l’un est modèle et l’autre copie, il en est bien distinct.

Mais, à mon avis, il faut pousser l’analyse plus loin encore et, comme je viens de l’indiquer, chercher l’adaptation sociale élémentaire dans le cerveau même, dans le génie individuel de l’inventeur. L’invention, — j’entends celle qui est destinée à être imitée, car celle qui reste close dans l’esprit de son auteur ne compte pas socialement — l’invention est une harmonie d’idées qui est la mère de toutes les harmonies des hommes. Pour qu’il y ait échange entre le producteur et le consommateur, et d’abord pour qu’il y ait don au consommateur de la chose produite (car l’échange est le don mutualisé et, comme tel, est venu après le don unilatéral), il faut que le producteur ait commencé par avoir à la fois deux idées, celle d’un besoin du consommateur, du donataire, et celle d’un moyen apte à le satisfaire. Sans cette adaptation intérieure de deux idées, l’adaptation extérieure appelée don, puis échange, n’eût pas été possible. De même, la division du travail entre plusieurs hommes qui se repartissent les diverses parties d’une même opération exécutée auparavant par un seul n’eût pas été possible si celui-ci n’avait eu l’idée de concevoir ces divers travaux comme les parties d’un même tout, comme les moyens d’un même but. Au fond de toute association entre hommes, il y a, je le répéte, originairement, une association entre idées d’un même homme.

Qu’on ne m’objecte pas que cette adaptation des idées les unes aux autres ne mérite le nom de sociale que lorsqu’elle s’est exprimée en une adaptation des hommes les uns aux autres. Souvent, en effet, elle s’exprime autrement, et même, il semble que cet autre genre d’expression tend à prévaloir. Après qu’un travail fait par un seul homme a été remplacé par une division du travail entre plusieurs hommes, il arrive fréquemment qu’une nouvelle invention a pour