Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/353

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susciter des adaptations et des oppositions plus hautes. C’est que l’adaptation parfaite et l’opposition parfaite sont les deux extrémités d’une série infinie, entre lesquelles s’interposent d’innombrables positions. Entre la confirmation absolue d’une thèse par une autre et la contradiction absolue des deux, il y a une infinité de contradictions et de confirmations partielles, sans compter l’infinité des degrés de croyance affirmative et négative. Une question suivie d’une réponse ; voilà l’invention. Mais, à une question donnée, mille réponses sont possibles, de plus en plus exactes et complètes. À cette question : le besoin de voir, il n’y a pas que l’œil humain qui ait répondu dans la nature, il y a tous les yeux d’insectes, d’oiseaux, de mollusques. À cette question : le besoin de fixer la parole, il n’y a pas que l’alphabet phénicien qui ait répondu.

C’est parce qu’il y a, au fond de toute société, une multitude de petites ou de grandes réponses à des questions, et une multitude de questions nouvelles qui surgissent de ces réponses mêmes, qu’il y a aussi un nombre considérable de petites ou de grandes luttes entre les partisans de solutions différentes. La lutte n’est que la rencontre d’harmonies, mais cette rencontre n’est, certes, pas le seul rapport des harmonies ; leur relation la plus habituelle est l’accord, la production d’une harmonie supérieure. À chaque instant, soit en parlant, soit en travaillant à n’importe quoi, nous éprouvons un besoin et nous le satisfaisons, et, c’est cette série de satisfactions, de solutions, qui constitue le discours ou le travail, et aussi bien la politique intérieure ou extérieure, la diplomatie et la guerre, toutes les formes de l’activité humaine. Ce sont les efforts, incessamment répétés, des individus d’une nation, pour adapter leur langue à leur pensée du moment qui ont pour effet de modifier et de transformer peu à peu les langues, de susciter des langues nouvelles. Si on avait tenu registre, comme a essayé de le faire dans un coin de la Charente M. l’abbé Rousselot, de tous ces efforts successifs, on pourrait dire le nombre précis d’adaptations linguistiques élémentaires dont une modification du son ou du sens des mots est l’intégration. Pour adapter leurs dogmes et leurs préceptes religieux à leurs connaissances et à leurs besoins, pour y adapter aussi leurs mœurs et leurs lois, leur morale même, les individus, et principalement ceux qui se sentent les plus inadaptés à leur milieu sinon à eux-mêmes, font