Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/352

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finale et causes efficientes se confondent ici, et il n’y a pas lieu de les distinguer.

Et c’est parce que toute construction sociale a pour tous matériaux, et pour tous plans même, des apports individuels, que je ne saurais admettre le caractère de contrainte souveraine, dominatrice, de l’individu, qui a été considéré comme l’attribut essentiel et propre de la réalité sociale. S’il en était ainsi, cette réalité ne s’accroîtrait jamais, ces monuments n’auraient jamais pu s’édifier, car, à chacun de leurs accroissements successifs par l’insertion d’une innovation, mot nouveau, nouveau projet de loi, nouvelle théorie scientifique, nouveau procède industriel, etc., ce n’est pas par force que cette nouveauté s’introduit, ce ne peut être que par persuasion et suggestion douce. Voyez la manière dont s’accroît le palais des sciences. Une théorie y est longtemps discutée dans l’enseignement supérieur, avant de s’y propager sous forme d’hypothèse plus ou moins probable, puis de descendre dans l’enseignement secondaire, ou elle s’affirme plus résolument ; mais ce n’est, en général, qu’en parvenant à l’enseignement primaire qu’elle dogmatise tout à fait et qu’elle exerce ou cherche à exercer sur l’esprit de ses adhérents enfantins, qui d’ailleurs s’y prêtent avec la meilleure volonté du monde, la coercition, nullement despotique, dont on parle. Cela signifie, en d’autres termes, que c’est en vertu de sa persuasivité antérieure que son impériosité actuelle s’est établie, le tout par propagation imitative. Il en est de même d’une nouveauté industrielle qui se répand : elle est un caprice d’une élite avant d’être un besoin du public, et de faire partie du nécessaire. Car le luxe d’aujourd’hui, c’est le nécessaire de demain, par la même raison que l’enseignement supérieur d’aujourd’hui, c’est l’enseignement secondaire ou primaire même de demain.

Ce grand sujet de l’adaptation sociale exigerait bien d’autres développements ; j’en ai esquissé quelques-uns dans mon livre sur la Logique sociale, auquel je me permets de renvoyer. Mais il faut se borner. Je n’insisterai pas enfin sur cette remarque, malheureusement trop évidente, que, plus les adaptations sont multiples et précises, plus des inadaptations sociales se révèlent, douloureuses, énigmatiques, justification de tant de plaintes. Mais nous sommes en mesure de dire, maintenant, pourquoi les harmonies naturelles, de même que les symétries naturelles, sont rarement parfaites, pourquoi il s’y mêle toujours et s’en échappe des dysharmonies et des dissymétries qui contribuent elles-mêmes parfois à