Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/357

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deviennent dissemblables les uns aux autres, mais séparément plus homogènes ; puis devenant nationale, et internationale. — Il n’est donc pas vrai que la différence aille croissant, car, à chaque instant, si de nouvelles et autres différences apparaissent, d’anciennes différences s’effacent ; et, en tenant compte de cette considération, nous n’avons nulle raison de penser que la somme des différences, si tant est qu’on puisse sommer des choses sans commune mesure, ait augmenté dans l’univers. Quelque chose de bien plus important qu’une simple augmentation de différence s’y accomplit incessamment, la différenciation de la différence elle-même. Le changement même y va changeant, et dans un certain sens qui, d’une ère de différences crues et juxtaposées, comme de couleurs criardes et non fondues, nous achemine à une ère de différences harmonieusement nuancées. — Quoi qu’on puisse penser de cette vue, il n’en reste pas moins inconcevable que, dans l’hypothèse d’une substance homogène soumise depuis l’éternité à la discipline niveleuse et coordinatrice des lois scientifiques, un univers tel que le notre, éblouissant d’un si grand luxe de surprises et de caprices, ait jamais pu exister. Du parfaitement semblable et parfaitement règle, qu’aurait-il pu naître si ce n’est un monde éternellement et immensément plat ? Aussi, à cette conception courante de l’univers comme formé d’une poussière infinie d’éléments tous semblables au fond, d’où la diversité aurait jailli on ne sait comment, je me permets d’opposer ma conception particulière qui le représente comme la réalisation d’une multitude de virtualités élémentaires, chacune caractérisée et ambitieuse, chacune portant en soi son univers distinct, son univers à soi et en rêve. Car il avorte infiniment plus de projets élémentaires qu’il ne s’en développe ; et, c’est entre les rêves concurrents, entre les programmes rivaux, bien plus qu’entre les êtres, que se livre la grande bataille pour la vie, éliminatrice des moins adaptes. En sorte que le sous-sol mystérieux du monde phénoménal serait tout aussi riche en diversités, mais en diversités autres, que l’étage des réalités superficielles.

Mais, après tout, cette métaphysique que j’indique importe assez peu à l’exposition qui l’a précédée, et je n’émets cette hypothèse qu’entre parenthèses, en faisant remarquer que, rejetée même, elle laisse debout les considérations plus solides et plus positives présentées plus haut. Elle permet seulement d’embrasser sous un même point de vue les deux sortes de vérités, en apparences étrangères