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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

Quant aux fragments sur Spinoza, dont le no 1 est le plus important, ils trouveront le meilleur des commentaires dans le texte même de l’Éthique. Des références n’auraient servi qu’à rendre plus rapide un travail que l’étudiant en philosophie ne fera jamais assez lentement.


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Cette longue formule, où se résume la doctrine de Lagneau, paraîtra sans doute à beaucoup n’apporter rien de nouveau. Il est facile d’y retrouver Aristote et la Monadologie ; il est facile aussi de remarquer que des affirmations de ce genre sont trop générales, et trop dépourvues de preuves pour arrêter l’attention d’un esprit positif. Pourtant, ce qui est remarquable, et ce que les fragments qui suivent laissent apercevoir, c’est que nul plus que Lagneau ne pénétra dans le détail des questions particulières ; nul ne se perdit plus volontiers dans la réalité concrète et complexe ; nul n’eut le sentiment plus immédiat du réel et du vivant. La philosophie de Jules Lagneau n’a rien d’abstrait, d’audacieux ni de rapide ; au premier abord elle eût paru plutôt tatillonne, hésitante, timide. Les mots « analysé par la réflexion » ne sont pas ici une vaine formule pendant quatre ou cinq mois chaque année, Jules Lagneau s’attardait sur la théorie de la perception. Une analyse patiente des perceptions des différents sens et des illusions, des tentatives d’explication et d’interprétation, sévèrement critiquées quelques heures après par leur inventeur lui-même, le tout appuyé sur une très solide connaissance de l’anatomie et de la physiologie humaines, voilà par quels chemins Lagneau conduisait ses élèves à cette métaphysique dont on a tant parlé, dont personne ne se fait une idée exacte, et dont l’obscurité seule, peut-on dire, était célèbre. En réalité Lagneau n’avait rien du prophète ni du poète, si ce n’est à de rares intervalles, et comme pour se donner quelque repos. Jamais l’analyse proprement dite n’a été pratiquée avec plus de ténacité, avec moins de souci de l’ensemble, avec moins d’idées préconçues que par lui. Aussi, pour ceux qui l’ont entendu sans l’avoir bien compris, il semble plutôt avoir manqué de cet ordre artificiel et systématique dont l’Éthique reste l’incomparable modèle.

Ainsi pas de déductions abstraites et inflexibles ; pas de formules très générales et très ambitieuses ; mais une sorte de micrographie spirituelle ; une analyse infatigable et interminable, des retours continuels de la pensée sur elle-même, tout cela accompagné du senti-