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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

ment constant de l’erreur inévitable, ou si l’on veut du sentiment de la richesse de l’être et de la pauvreté de nos formules, telle était l’épreuve à laquelle étaient soumis ses auditeurs, et de laquelle ils sortaient plus modestes, plus prudents et plus courageux.

Ainsi chacune des parties de cette formule est la conclusion d’une analyse patiente, pénétrant dans tous les sens en même temps, si subtile que les mots manquaient, si complète que tout fil conducteur semblait perdu. L’analyse de la perception conduisait à découvrir dans cet acte, si simple en apparence, un monde de pensées latentes, de raisonnements, de jugements, de préjugés, de conjectures, d’affirmations métaphysiques. Qu’est-ce qu’un objet réel ? C’est d’abord un faisceau de qualités ou propriétés. La connaissance de chacune de ces qualités ou propriétés suppose des comparaisons préalables ; par exemple la connaissance de la forme suppose une comparaison entre les dimensions ; la connaissance d’une dimension suppose celle d’une distance, c’est-à-dire l’affirmation d’un rapport de position qui ne peut pas être donné en fait, puisque la distance nous sépare de l’objet ; la notion de distance suppose donc l’idée du permanent de l’indépendant par rapport à nous, de la dépendance d’une partie par rapport à une autre et des parties par rapport au tout. De même la connaissance d’un son, si on l’analyse, suppose un travail prodigieux que notre pensée fait sans nous ; le mot de Leibniz : Musice est mathematice animæ nescientis sese computare est vérifié par l’analyse minutieuse des perceptions de l’ouïe : entendre des sons c’est diviser le temps, c’est nombrer les divisions, reconnaître le retour de certains groupes, c’est-à-dire concevoir sous le changement des sensations l’identité d’une formule numérique : c’est faire de la science sans s’en douter. Les perceptions du toucher ne sont pas plus simples que les autres ; les auteurs cherchent un point de départ à notre connaissance tactile des choses ; ils pensent le trouver dans la perception de résistance, dans le sentiment de l’effort ; or, de telles perceptions, un tel sentiment supposent tout un monde de notions : connaissance d’un ordre fixe, ce qui suppose une connaissance locale des parties de notre corps ; notions de distance et de direction ; imagination d’un terme voulu, et non possédé, et des intermédiaires qui nous en séparent. Et ces notions sont elles-mêmes complexes, indéfiniment. La sensation pure et simple : abstraction inconcevable ; car sentir sans avoir conscience ce n’est pas sentir, et avoir conscience c’est déjà unir, grouper, préférer. La sensation