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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

apparaît le principe et le but de ce que Lagneau appelait l’Analyse réflexive : montrer que le degré supérieur est impliqué dans l’inférieur, ce qui conduit en définitive, et non point au hasard, comme les ennemis de la Métaphysique semblent le croire, à concevoir l’identité, non point abstraite, mais concrète, de la Pensée et de la Nature. Lorsqu’on est en possession d’un tel fil-conducteur, il devient relativement facile d’édifier une théorie analytique de l’esprit humain aussi complète que l’on voudra.

Voici à peu près dans quels termes Lagneau, dans son enseignement, montrait, à propos de la perception, que l’inférieur suppose le supérieur, et la moindre pensée, toute la pensée.

L’INFÉRIEUR S’EXPLIQUE PAR LE SUPÉRIEUR.

Par une sensation nous ne pouvons jamais saisir qu’un état de nous-mêmes, que quelque chose de moins qu’un fait. Pour que l’on perçoive quelque chose comme existant véritablement, il faut qu’il y ait dans l’esprit la volonté de sortir de soi. Toute perception de quelque chose d’extérieur suppose une action par laquelle l’esprit projette au dehors ce qu’il a senti, se le représente, se représente qu’il pourrait le sentir encore. Ce n’est pas seulement l’unité des différentes espèces de sensations, qui doit être saisie dans la perception, c’est le rapport de l’objet avec nous, le fait qu’il se trouve dans certaines conditions exactement déterminées qui, lorsqu’elles varient, modifient l’impression qu’il fait sur nous. Il faut que nous nous représentions le rapport où sont les différentes qualités entre elles, la manière dont elles doivent varier les unes en dépendance des autres. L’unité d’un objet ne consiste pas dans une somme de qualités ; il y a dans l’objet un pouvoir de produire en nous des sensations. L’unité d’un objet consiste en ce que, si sa couleur se modifie, il faut que cette modification se traduise par des modifications des autres qualités de l’objet. Elle consiste en ce que c’est la même chose qui s’exprime dans les différentes qualités. Comment le savoir si nous ne savons pas que ces qualités sont liées entre elles, si nous ne nous représentons pas en elles quelque chose qui n’est pas elles et qui se retrouve dans toutes ? Ce quelque chose ne peut être une qualité sensible. Cette unité, qui doit pouvoir tomber sous nos sens, ne peut être que l’étendue. Les différentes, qualités de l’objet sont liées les unes aux autres, quoiqu’il n’y ait entre elles aucun rap-