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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

et c’est pourquoi conscience et volonté sont liées l’une à l’autre dans la vie moyenne, dans la vie intelligente. Mais la réflexion conduit d’une part à affirmer l’équivalence de tous les êtres en tant qu’êtres, d’autre part à comprendre l’identité de toutes les volontés en tant que volontés ; chaque partie suppose alors le tout, et chaque pensée toute la pensée ; la perfection de la conscience est ainsi dans sa propre destruction. D’où l’on est amené encore par une nouvelle suite d’idées à comprendre qu’une psychologie n’est point possible si elle veut rester psychologie. Le fait d’être soi épuise la connaissance de soi comme un fait. Voyez à ce sujet la pensée suivante.

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« Nous passons de la conscience à la réflexion », c’est-à-dire nous passons de la constatation d’un fait à la recherche de ses conditions nécessaires ; tel est pour Lagneau le sens précis des mots réflexion et analyse réflexive : recherche des conditions nécessaires par opposition à la recherche des conditions contingentes. Par exemple la recherche des conditions mathématiques de la construction d’un triangle n’est pas une recherche de conditions nécessaires, car il n’est pas nécessaire qu’il y ait un triangle, ou même que j’en aie l’idée. La nécessité des conditions du triangle n’est donc, pour ainsi parler, que relative. Mais si l’on considère le triangle comme objet de pensée, et si l’on cherche les conditions sans lesquelles il ne pourrait pas être pensé, on cherche alors des conditions qui sont nécessaires absolument ; car, s’il n’est pas nécessaire que le triangle soit objet de pensée, il est du moins nécessaire qu’il puisse l’être ; et les conditions nécessaires qui ne peuvent manquer d’être obtenues par une telle analyse doivent seules être attribuées à la Nature Pensante absolue — absolue, c’est-à-dire sans dépendance par rapport à quoi que ce soit. On peut donc prévoir d’avance que la réflexion ainsi entendue n’atteindra jamais autre chose que l’esprit absolu et un : on ne peut faire de la psychologie au sens ordinaire du mot qu’en supprimant toute réflexion et en se laissant vivre, autant qu’on le peut ; la psychologie est donc plutôt une manière d’être qu’une recherche. La vraie psychologie c’est l’étude de l’esprit comme condition nécessaire de toute réalité, c’est-à-dire la philosophie même (V. 7).

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On peut voir d’après ce fragment et les suivants que Lagneau