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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

continue, par déférence pour la tradition, à appeler psychologie ce qui est pour lui la philosophie tout entière. Dans ce fragment on voit se préciser l’idée de l’analyse réflexive. Nous avons dit que la réflexion c’est la recherche des conditions nécessaires d’un objet considéré comme objet de pensée, et que ces conditions, étant nécessaires, ne pouvaient jamais se rapporter à une pensée individuelle, mais seulement à la Pensée absolue. Cela suppose que la pensée individuelle et consciente contient à son insu, c’est-à-dire implicitement, toute la pensée, c’est-à-dire que notre science imparfaite et limitée suppose à chaque instant la science, parfaite et illimitée. La réflexion va donc plus loin que la conscience ; elle conduit à considérer un acte de pensée individuelle comme conditionné en moi par un monde d’idées que je n’ai pas formées, de raisonnements que je n’ai point faits. Par exemple, pour la conscience, la notion de résistance est quelque chose de simple et de primitif ; aux yeux de la réflexion, elle suppose, comme conditions nécessaires, les idées de position, de direction, d’effort, d’objet extérieur, idées que je ne conçois pas explicitement lorsque je connais une résistance ; chacune de ces idées elle-même, si on l’analyse, en suppose d’autres, en implique nécessairement d’autres : l’idée de position suppose l’idée de distance, de séries fixes, de mouvements à faire dont l’effet est connu ; l’idée de direction suppose de plus la connaissance distincte des parties de mon corps, et des notions de directions fixes comme avant et arrière, haut et bas, droite et gauche ; l’idée d’effort suppose l’idée d’un mouvement voulu, c’est-à-dire d’un mouvement dont les effets sont d’abord connus, ensuite jugés préférables à l’état actuel. L’idée d’objet extérieur suppose l’idée de permanence, de stabilité, c’est-à-dire d’être ; l’idée d’être implique à son tour unité, indivisibilité, etc. De telle sorte que, dans une idée quelconque, on retrouve nécessairement à l’état latent toutes les idées. De là cette autre formule, analogue à celle qui est ici commentée, et que Lagneau répétait souvent : l’analyse réflexive a pour objet de retrouver dans un fait de pensée la Pensée tout entière. Ces considérations, si l’on veut bien y réfléchir, apporteront aussi quelque éclaircissement aux pensées 9 et 10.

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On peut voir par cette pensée que Lagneau était très éloigné de l’abstraction systématique et synthétique qui est pour beaucoup