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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

position, c’est-à-dire sous la forme de l’extériorité. Mais à un point de vue, supérieur la partie dépend du tout et n’a de sens, que par lui ; et, comme la pensée d’un objet ne peut pas contenir explicitement tous les autres objets, sans quoi cet objet serait le tout et non une partie, nous ne pouvons nous représenter cette dépendance sous la forme d’une juxtaposition de parties ; nous ne pouvons que juger que la partie implique le tout, c’est-à-dire connaître l’intériorité du tout par rapport à chaque partie ; connaître cela, c’est proprement comprendre ce que c’est que la Pensée. Toute autre idée de la Pensée n’est qu’une vaine abstraction.

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« Le corps est dans l’esprit. »

Nous aurions presque à regretter de publier ces pensées posthumes lorsque nous nous imaginons les interprétations hâtives auxquelles elles donneront lieu ; cette courte pensée risque d’être immédiatement comprise, et, ce qui est plus grave, étiquetée « Lagneau était idéaliste », ne manquera-t-on pas de dire. Il semble qu’on ait toujours la préoccupation de reconnaître chez un philosophe quelconque une doctrine déjà étudiée, afin de courir ailleurs chercher du nouveau. Or cette pensée ne veut pas dire seulement que notre corps n’est rien de plus qu’une des images qui nous sont le plus familières et auxquelles nous pensons le plus souvent, ce qui est en effet une banalité. De plus, il reste vrai en fait, que le corps, est autre chose qu’une idée ; si toutes les choses sont idées, on peut tout aussi bien dire que rien n’est idée, et l’on n’est pas plus avancé. Si l’on a bien voulu méditer, sur ce qu’est, pour Lagneau, l’idée même de la Pensée, on se fera quelque idée de la portée réelle de cette formule « Le corps est dans l’esprit ». Cela ne veut point dire que le corps est, en fait, dans l’esprit cela veut dire que, dans le système de conditions nécessaires de la connaissance, qui est la nature universelle de la pensée, est comprise la notion, d’un corps sensible et automobile, c’est-à-dire vivant, de forme constante. Le corps vivant que l’être pensant appelle moi n’est pas, au regard de l’analyse réflexive, un fait que l’on constate, mais une nécessité que l’on comprend. L’idée de la Pensée, c’est l’idée de l’implication nécessaire de tout dans tout, l’idée de la dépendance de chaque Pensée par rapport à toutes les autres. Il faut donc que, sous chaque Pensée, toutes les autres soient toujours implicitement présentes, ou, comme dit Aristote, que la «Pensée humaine connaisse, en puissance toutes choses ;