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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

Mais cela ne suffit pas ; ce que le mouvement suppose, c’est essentiellement une action par laquelle nous parcourons ces sensations distinctes. Il faut donc, pour que nous sachions que nous nous mouvons, que nous ayons l’idée d’une fin que nous poursuivons, et que nous éprouvions que cette pensée d’une fin à atteindre déterminé immédiatement en nous un sentiment propre, celui de l’action musculaire. La notion du mouvement suppose donc en nous l’existence de la pensée.

Mais ces deux conditions suffisent-elles ? Ce n’est pas savoir qu’on se meut que savoir qu’on détermine médiatement une diversité de sensations externes en déterminant immédiatement une variation, dans le sentiment de l’action musculaire. Ce qui manque, c’est l’idée qu’entre ces différentes sensations extérieures, dont la succession est déterminée en même temps que la variation du sentiment de l’action musculaire, il existe un ordre absolu tel qu’il ne se confonde pas avec la simple diversité des sensations. Ces sensations, si on les considère uniquement comme telles, n’ont rien qui les enchaîne à tel ordre plutôt qu’à tel autre. Dans le sentiment d’une succession de sensations, et dans la superposition à cette succession d’une action musculaire variée, il n’y a pas de quoi produire le sentiment du mouvement. Chaque terme de la série des sensations qui se succèdent est indifférent au terme auquel il se trouve actuellement lié dans la série des sensations musculaires. Si on ne considère dans les sensations qu’elles-mêmes, il n’y a rien qui les détermine à être produites par telle action ou telle autre. On peut concevoir que l’ordre des sensations externes soit changé ; donc notre action est, indifférente aux effets qu’elle produit, dans la succession des sensations dans les sensations il n’y a pas d’ordre fixe. Or le mouvement est la réalisation d’un ordre fixe. Par suite nous ne pouvons avoir le sentiment du mouvement que nous exécutons par la perception de nos sensations externes.

Cet ordre fixe ne peut se trouver que dans les sensations internes. Il faut que dans les sensations externes se trouve un élément distinct de ces sensations, purement subjectif, qui subsiste le même quelle que soit la sensation externe à laquelle il se trouve actuellement lié. Le contenu représentatif de la sensation peut varier ; mais il faut que je puisse apprendre par expérience qu’il y a une série fixe de sensations internes qui accompagne les sensations externes. À cette condition je pourrai reconnaître que le même mouvement a été pro-