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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

duit, parce que, à chacune de mes actions, j’aurai réalisé en moi le sentiment d’une diversité constante sous la diversité changeante. L’ordre fixe nécessaire au sentiment du mouvement doit donc m’être donné naturellement. Je prends ainsi conscience, par l’expérience, d’un ordre constant qui subsiste non pas entre mes sensations externes, mais entre celles qui sont comme la base de ces sensations. Il faut que, la sensation extérieure étant renouvelée, mais le même mouvement étant nécessaire, j’aie toujours le même sentiment interne. Je n’ai pas d’action directe sur mes sensations externes ; je ne puis pas savoir, en les parcourant, si c’est un ordre fixe que je parcours, parce que cette diversité peut tenir à quelque chose d’extérieur à moi. Mais il est un ordre fixe que je suis bien sûr d’obtenir si je le veux c’est celui des sensations internes. L’Étendue, condition du mouvement, doit donc nous être donnée en principe sous la forme d’un ordre fixe du sentant, qui appartienne au sentant indépendamment du senti. Il doit exister un ordre qui nous soit naturellement et immédiatement livré. L’étendue doit nous être révélée a priori sous la forme d’un ordre fixe de nos sensations internes, c’est-à-dire sous la forme de notre organe sentant même. Cet ordre fixe nous apparaît sous la forme de l’étendue de notre propre corps. C’est cette étendue que nous percevons lorsque nous avons le sentiment d’un mouvement que nous faisons. Naturellement, cet ordre fixe de nos sensations internes ne nous est connu que peu à peu, et le sentiment de cet ordre peut se développer indéfiniment. Acquérir une perception supérieure, c’est toujours acquérir une notion plus nette du mouvement que nous exécutons en percevant.

Ainsi la condition sans laquelle on ne conçoit pas que la connaissance de l’étendue soit possible, c’est la connaissance d’une multiplicité absolue d’êtres sentants, entre lesquels il existe une relation fixe et qui constituent ce que nous appelons notre corps. Si la faculté de sentir n’était pas morcelée en nous, et s’il n’existait pas un ordre fixe entre tous les êtres sentants qui la composent, nous ne percevrions pas le mouvement. C’est en ce sens que la connaissance de l’étendue nous est innée.

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Lagneau disait dans le même sens que l’étendue et le mouvement ne sont que des hypothèses. Il y a des cas où cette recherche, par tâtonnement à travers les hypothèses successives, qui constitue la perception, est consciente et parfaitement visible. S’il arrive que je