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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

On comprend bien alors qu’un objet ne peut être considéré comme occupant, par lui-même, une position, c’est-à-dire comme étant dans l’étendue, et que l’étendue, la forme, les dimensions et les distances ne sont que des abstractions. Même dans la perception, nous supposons des relations simples entre les éléments du réel, nous sommes mathématiciens sans nous en douter. C’est pourquoi Lagneau peut dire que même le fait perçu est une hypothèse, et que c’est notre propre nature que nous lisons dans le fait.

Ce qu’il y a d’intelligible dans le fait, c’est son explication, c’est-à-dire la découverte de son union avec tous les autres, découverte qui lui assigne une place dans l’Univers, c’est-à-dire dans le tout des faits. La théorie parfaite d’un fait consisterait à montrer qu’il n’y a rien de plus en lui que la répercussion de tout ce qui se passe dans l’Univers au même moment. Par exemple l’étude de la chute d’une pierre est tout à fait superficielle, et cette chute est imparfaitement connue comme fait si l’on ne tient pas compte des changements de l’intensité de la pesanteur et de la résistance de l’air ; mais elle est encore incomplètement connue si l’on n’étudie l’action de la lune, des planètes et du soleil sur ce corps en mouvement, action qui ne saurait être nulle ; ces actions étant supposées parfaitement connues, il faudrait encore tenir compte de l’action de tous les corps célestes sans exception, si minime que soit cette action. La connaissance de la chute d’une pierre ne serait donc complète qu’autant qu’on y lirait l’état de l’univers tout entier. Lagneau peut donc dire que le Tout lit dans le fait supposé complet la solidarité de toutes les parties du Tout.

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La spontanéité sentante, considérée en dehors de toute forme, n’est pas. La pure sensation n’est qu’une hypothèse, nécessaire au point de vue de l’analyse, et comme idée, mais qui ne se présente jamais en fait ; ce qui est, c’est l’idée de la sensation, non point, comme l’entend un idéalisme paresseux, parce que rien n’est connu que par son idée, mais parce qu’il est impossible, au point de vue de l’analyse réflexive, de réduire la connaissance à sa forme, c’est-à-dire parce que toute connaissance implique toujours l’idée d’une nécessité extérieure qui nous contraint. Mais cela ne veut pas dire que cet élément nécessaire de la connaissance puisse être observé et constaté comme un fait. Ce que l’on est tenté de prendre pour des sensations simples, par exemple la sensation de résistance, sont en réalité des