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Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/549

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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

sont générales et s’appliquent à tous les genres de connaissance.

Or d’où vient cette construction abstraite et simplifiée dont le vrai nom est l’idée ? Est-elle tirée de l’expérience ? Cela n’est pas possible, car comment tirer de l’indéterminé le déterminé, du différent l’identique, de l’infiniment multiple l’un, de l’inégal l’égal ? Donc, ces faits idéaux et simples, l’expérience ne nous les montre point ; il faut donc bien qu’ils soient inventés par nous, conformément aux exigences de notre nature, qui se ramène à un besoin fondamental du repos, de l’identité, de l’unité, de la permanence.

L’esprit ayant un impérieux besoin d’unité, et ne la rencontrant jamais dans l’expérience, la suppose d’abord afin de rendre possible l’unification de ses propres pensées, c’est-à-dire afin de s’expliquer à lui-même la dépendance des faits les uns par rapport aux autres ; et aussi afin de rendre cette explication communicable, c’est-à-dire intelligible aux autres esprits. Comment, en effet, s’expliquerait-on la liaison des faits concrets, comme électricité, chaleur, lumière, choc, travail, si l’on ne les remplaçait par des faits abstraits correspondants mathématiquement définis des mouvements continus ou abstraits de telle forme et de telle vitesse ? Donc le fait qui est l’objet de la science est bien une hypothèse que nous suggèrent les exigences de notre esprit et non pas la nature des choses.

Mais allons plus loin. La perception même est déjà une connaissance, c’est-à-dire déjà une science. Le fait concret, multiple et changeant ne peut pas plus être perçu qu’il ne peut être conçu comment percevoir une infinité d’éléments ? Le fait concret n’est donc que l’idée d’une Nature extérieure dont notre connaissance ne pourra jamais épuiser la richesse et la variété. Quant au fait que nous percevons, il est déjà une simplification du réel, une abstraction, une construction. Nous constatons que nos mouvements sont liés à des changements dans nos sensations ; nous nous représentons cette liaison au moyen d’une abstraction, la position, c’est-à-dire le lieu ; le lieu d’un objet, et le lieu de ses parties, ne sont que des hypothèses destinées à nous expliquer à nous-mêmes, de la façon la plus simple possible, la liaison de nos sensations entre elles, et leurs relations avec nos mouvements. Tous les problèmes posés dans nos relations avec les objets se ramènent à celui-ci : quels mouvements ai-je à faire pour substituer certaines sensations à certaines autres ? Or la solution d’un tel problème s’exprime pour nous dans la représentation de la position d’un objet par rapport à nous.