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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

philosophique, expliquer la conservation ; car, qu’un fait soit conservé, qu’un ordre de succession entre des faits soit conservé, cela est absurde dans les termes il n’y a que le rationnel, que le nécessaire qui demeure, et le Moi n’est et ne dure qu’autant qu’il est rationnellement construit. C’est dans ce sens et non ailleurs qu’il faut chercher la théorie philosophique de la mémoire.

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Cette pensée n’est que le résumé d’un long et précis examen de la fameuse loi de Fechner. Lagneau arrivait à cette conclusion, contre laquelle bien peu de philosophes s’élèveraient sans doute aujourd’hui, que des sensations successives, provoquées par un excitant croissant, ne peuvent être considérées, à aucun point de vue, comme des variations quantitatives. Toute quantité est en effet susceptible d’augmentations et de diminutions infiniment petites, c’est-à-dire est continue, tandis qu’il n’en est pas ainsi des changements de la sensation, qui procèdent par bonds, sans intermédiaires. « En réalité la prétendue série logarithmique n’est ici qu’une série de numéros d’ordre, un échelonnement de sensations distinctes, mais seulement qualitativement, et dont les différences ne sont nullement égales entre elles. »

Ce que Fechner suppose, disait à peu près Lagneau, c’est que ces sensations, entre lesquelles il n’y a pas d’intermédiaires, sont toujours différentes l’une de l’autre de la même quantité, que la différence de l’une à l’autre est constante. Or rien ne peut prouver que cette supposition soit légitime. Ne pouvant trouver directement de combien une sensation donnée est plus grande que la précédente, on cherche à mesurer leur différence en supposant ce qui est en question, à savoir qu’elle est toujours égale à elle-même. En réalité ce qu’on détermine par la loi de Fechner, ce n’est pas la quantité des sensations, mais uniquement leur numéro d’ordre dans la série des sensations.

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Ce que nous appelons sensation… La prétendue sensation de résistance est un bel exemple de la confusion que l’on est souvent amené à faire entre la perception, acte de connaissance résultant de l’application d’une forme (nature de la Pensée) à une matière (sensation), et la sensation proprement dite. Car la résistance implique toujours la connaissance d’un lieu de notre corps, et d’un mouvement à faire, actuellement empêché, et ce sont là des idées, des interprétations de