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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

sensations. Quant à la sensation elle-même, considérée à part de toute idée, de tout jugement, elle n’est qu’une abstraction que nous posons à l’origine de notre connaissance des choses, cette origine, comme tout commencement absolu, n’étant elle-même qu’une abstraction. La conclusion des recherches de Lagneau sur la connaissance en général c’est toujours qu’il y a un commencement avant le commencement, et de la Pensée avant notre Pensée, ou en langage aristotélicien, que l’Acte est antérieur à la Puissance, et la Pensée tout entière antérieure à toute Pensée particulière. Et c’est là le principe général de toute étude de l’Esprit Humain.

38 et 39

L’étendue est subjectivement… Il est à propos d’éclaircir cette définition, en même temps que celles qui sont formulées d’une manière un peu différente dans les fragments suivants, et notamment dans les fragments 41 et 44. Que l’étendue ne nous représente pas une propriété des choses, mais bien un rapport des choses à nous, voilà qui peut passer pour un dogme philosophique, et ceux auxquels il faudrait l’expliquer doivent renoncer pour le moment à comprendre les fragments de Jules Lagneau. Mais que l’étendue, c’est-à-dire l’image que nous avons, par exemple, devant les yeux, ne soit pas autre chose pour nous que la représentation d’une loi nécessaire, voilà qui est plus difficile à comprendre. Les démonstrations de Kant sur la nature de l’étendue se développent dans l’abstrait, et peu d’esprits, parmi les meilleurs, sont sans doute capables de les retrouver dans l’étendue concrète, que nous voyons et que nous touchons. Cela tient à ce qu’ils n’ont pas l’habitude de l’analyse réflexive, par laquelle on se propose de retrouver dans tout fait la pensée qui en est la condition. Considérons donc une image visuelle, soit un encrier. Dans l’état actuel de mon esprit cet encrier est vu par moi à une certaine distance de moi ; cette distance, ma vue la saisit directement, semble-t-il : et pourtant il est certain qu’une distance ne saurait exister pour ma vue entre moi et cet encrier, puisque je le vois. Voir cet encrier à la distance d’un mètre par exemple, ce n’est donc rien autre chose que me représenter les mouvements que j’aurais à faire pour le toucher ; de même et inversement, que je touche un objet situé derrière moi, et que je me représente la position et la distance de cet objet par rapport à moi, je ne me représente en réalité rien autre chose que des mouvements que