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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

comment elle est possible, c’est-à-dire quelles sont les conditions sans lesquelles même une pensée fausse ou douteuse ne saurait être pensée. La forme générale de ce qu’on pourrait appeler le raisonnement réflexif est celle-ci : il est impossible que je pense cela sans penser en même temps et implicitement ceci et ceci, ou encore autre chose. Lagneau disait souvent : « On doit pouvoir retrouver toutes, les idées en partant de l’une quelconque d’entre elles ».

Si l’on veut bien y réfléchir on comprendra que la possibilité d’une Métaphysique de la Pensée est beaucoup moins difficile à établir que la possibilité d’une Psychologie. Comment saisir une pensée dans son existence contingente, puisque le fait même de la saisir la remplace comme fait ? Il faut donc la faire revivre et la faire subsister, et comment la faire subsister sinon en la transformant par l’analyse en une vérité nécessaire ? Il n’y a que, le nécessaire, que le rationnel, qui dure et se conserve ; tout le reste passe et on ne peut que le vivre. Le mal ne consiste pas à ne pas faire de Métaphysique, mais à en faire sans s’en douter.

C’est assez parler d’une méthode qui ne peut être éclaircie que par ses applications. Les fragments de Lagneau et le commentaire qui précède en pourront donner une idée. Mais rien ne saurait dispenser le lecteur du courage, de la patience et du temps qui sont nécessaires pour arriver à se connaître vraiment comme pensant. Et il convient de répéter à ce sujet, après Lagneau, le vieil adage : fit fabricando faber.

E. Chartier