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H. POINCARÉ.LA MESURE DU TEMPS.

Quand je dis que, de midi à une heure, il s’est écoulé le même temps que de deux heures à trois heures, quel sens a cette affirmation ?

La moindre réflexion montre qu’elle n’en a aucun par elle-même. Elle n’aura que celui que je voudrai bien lui donner, par une définition qui comportera forcément un certain degré d’arbitraire.

Les psychologues auraient pu se passer de cette définition ; les physiciens, les astronomes ne le pouvaient pas ; voyons comment ils s’en sont tirés.

Pour mesurer le temps, ils se servent du pendule et ils admettent par définition que tous les battements de ce pendule sont d’égale durée. Mais ce n’est là qu’une première approximation ; la température, la résistance de l’air, la pression barométrique font varier la marche du pendule. Si on échappait à ces causes d’erreur, on obtiendrait une approximation beaucoup plus grande, mais ce ne serait encore qu’une approximation. Des causes nouvelles, négligées jusqu’ici, électriques, magnétiques ou autres viendraient apporter de petites perturbations.

En fait, les meilleures horloges doivent être corrigées de temps en temps, et les corrections se font à l’aide des observations astronomiques ; on s’arrange pour que l’horloge sidérale marque la même heure quand la même étoile passe au méridien. En d’autres termes, c’est le jour sidéral, c’est-à-dire la durée de rotation de la terre, qui est l’unité constante de temps. On admet, par une définition nouvelle substituée à celle qui est tirée des battements du pendule, que deux rotations complètes de la terre autour de son axe ont même durée.

Cependant les astronomes ne se sont pas contentés encore de cette définition. Beaucoup d’entre eux pensent que les marées agissent comme un frein sur notre globe, et que la rotation de la terre devient de plus en plus lente. Ainsi s’expliquerait l’accélération apparente du mouvement de la lune, qui paraîtrait aller plus vite que la théorie ne le lui permet, parce que notre horloge, qui est la terre, retarderait.

IV. – Tout cela importe peu, dira-t-on ; sans doutes nos instruments de mesure sont imparfaits, mais il suffit que nous puissions concevoir un instrument parfait. Cet idéal ne pourra être atteint, mais ce sera assez de l’avoir conçu et d’avoir ainsi mis la rigueur dans la définition de l’unité de temps.

Le malheur est que cette rigueur ne s’y rencontre pas. Quand nous