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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

venirs dans le temps, comme un botaniste range dans son herbier des fleurs desséchées.

Mais ces étiquettes ne peuvent être qu’en nombre fini. À ce compte, le temps psychologique serait discontinu. D’où vient ce sentiment qu’entre deux instants quelconques il y a d’autres instants ? Nous classons nos souvenirs dans le temps, mais nous savons qu’il reste des cases vides. Comment cela se pourrait-il si le temps n’était une forme préexistant dans notre esprit ? Comment saurions-nous qu’il y a des cases vides, si ces cases ne nous étaient révélées que par leur contenu ?

II. — Mais ce n’est pas tout ; dans cette forme nous voulons faire rentrer non-seulement les phénomènes de notre conscience, mais ceux dont les autres consciences sont le théâtre. Bien plus, nous voulons y faire rentrer les faits physiques, ces je ne sais quoi dont nous peuplons l’espace et que nulle conscience ne voit directement. Il le faut bien, car sans cela la science ne pourrait exister. En un mot, le temps psychologique nous est donné et nous voulons créer le temps scientifique et physique. C’est là que la difficulté commence, ou plutôt les difficultés, car il y en a deux.

Voilà deux consciences qui sont comme deux mondes impénétrables l’un à l’autre. De quel droit voulons-nous les faire entrer dans un même moule, les mesurer avec la même toise ? N’est-ce pas comme si l’on voulait, mesurer avec un gramme, ou peser avec un mètre ?

Et d’ailleurs, pourquoi parlons-nous de mesure ? Nous savons peut-être que tel fait est antérieur à tel autre, mais non de combien il est antérieur.

Donc deux difficultés :

1o Pouvons-nous transformer le temps psychologique, qui est qualitatif, en un temps quantitatif ?

2o Pouvons-nous réduire à une même mesure des faits qui se passent dans des mondes différents ?

III — La première difficulté a été remarquée depuis longtemps ; elle a fait l’objet de longues discussions et on peut dire que la question est tranchée.

Nous n’avons pas l’intuition directe de l’égalité de deux intervalles de temps. Les personnes qui croient posséder cette intuition sont dupes d’une illusion.