tel corps, suivant telles proportions. Si, au contraire, on accorde à un être l’activité comme fondement de sa nature, sa nature sera par définition tout à fait indéterminée. En effet, du moment qu’il tend de lui-même à changer, en vertu d’un principe interne, on ne voit pas quel obstacle inerte pourrait s’opposer en lui à un changement quelconque : si son activité triomphe de l’obstacle il n’y a plus d’obstacle, si l’obstacle arrête son activité, l’être que nous, considérons cesse d’exister ; mais on ne voit point de moyen terme concevable entre l’activité et la nature inerte, entre l’indétermination absolue et la détermination absolue. C’est pourquoi tous ceux qui posent l’âme et le corps sont incapables d’expliquer ensuite leur union sans sacrifier l’un ou l’autre, ceux qui conservent le corps ne pouvant expliquer la pensée, ceux qui conservent l’âme ne pouvant dire d’où vient le corps. Il faut donc faire du corps vivant un produit de l’âme, une nature que la pensée se crée à elle-même, justement parce qu’elle conserve tout ce qui passe en elle. Cela va nous conduire à expliquer en quel sens on peut dire que c’est le corps qui conserve les souvenirs, et que c’est dans le corps que l’âme les retrouve.
Posons une pensée imparfaite, c’est-à-dire qui se transforme indéfiniment en des actes nouveaux : les affirmations se suivent en elle sans se détruire ; elles s’accumulent. En effet, ce qui est affirmé par tout acte de pensée c’est le vrai, c’est-à-dire l’être ; et ce qui est affirmé aussi, et l’est corrélativement, c’est la certitude, c’est-à-dire l’impossibilité de nier jamais ce qu’on affirme : si l’on n’avait une telle certitude on n’affirmerait rien, sinon qu’on ne l’a pas, et qu’on est certain qu’on ne l’a pas. La pensée ne peut donc affirmer quelque chose de nouveau sans affirmer en même temps, au moins implicitement, ce qu’elle a déjà affirmé. Vivre c’est justement faire tenir tant bien que mal tous les actes en un seul, tout le passé dans le présent. Nous n’existons que par l’engagement implicite et nécessaire que nous prenons d’agir à chaque instant avec tout notre être et de penser avec toute notre pensée. Et cette coexistence de plusieurs actes en un même acte ne peut être réalisée que s’ils ne se limitent et en quelque sorte se déforment les uns les autres.
Il faut donc que tous nos jugements passés se traduisent par une détermination du jugement actuel, par un obstacle qu’il rencontre. Et, de même que tout acte se manifeste par un mouvement, de même l’obstacle à l’acte doit nous apparaître comme la limitation d’un mouvement, c’est-à-dire comme un corps matériel toujours pré-