Page:Revue de métaphysique et de morale, 1935.djvu/13

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notre idée de Dieu, en cessant de placer devant lui le souci de notre personne. Ne plus rien attendre de Dieu que l’intelligence du divin, pleine et pure, telle est la règle où nous retrouvons la pensée ou, si l’on préfère, l’aspiration mystique. Seulement, pour parler net, on ne peut s’empêcher de considérer que le mysticisme, par ses alternatives incessantes de lumière et d’ombre, de bonds en arrière et de regards en avant, est demeuré malgré lui incertain et ambigu entre les deux courants contraires qui n’ont cessé de le porter, tantôt vers l’idéalité du spirituel, tantôt vers la matérialité du surnaturel ; il s’est révélé impuissant à se dépouiller lui-même de ses impuretés. Aussi bien le Banquet, dont procède la tradition mystique, fait de l’enthousiasme un état mixte et confus de sentiment qu’il faudra dépasser pour le justifier, en poussant jusqu’au bout le processus d’immanence intellectuelle qui s’achèvera dans la clarté de la vie unitive ; et tel est, selon nous, le rôle qu’il convient d’attribuer à la raison — non pas, certes, à la raison dogmatique et abstraite contre laquelle les mystiques chrétiens ont justement joint leur cause à celle du scepticisme, mais à la raison véritable, que la littérature mystique n’a guère connue et grâce à laquelle notre civilisation moderne a su redresser la perspective des valeurs spirituelles.

Que ce redressement ait produit d’abord l’effet d’un paradoxe et d’un scandale, le xviie siècle en témoigne avec éloquence une même condamnation y a frappé Galilée et Fénelon. Et, en effet, dans l’astronomie nouvelle il s’agissait de tout autre chose que de substituer un système à un système, il fallait obtenir de l’homme qu’il triomphât de sa nature au point d’abdiquer la vision naïvement égocentrique sur laquelle s’étaient greffées jusqu’alors les métaphysiques et les théologies. Le grand événement est là, dans le renoncement au privilège terrestre, renoncement qui a fait éclater le caractère de l’intelligence humaine, sa vertu propre de désintéressement généreux et d’humilité sincère. La découverte du monde donne sa signification véritable à la découverte de l’esprit. La raison spéculative, obéissant à la discipline rigide du calcul, à l’objectivité croissante de l’expérience, va désormais à la rencontre de la raison pratique telle que déjà Socrate l’avait incarnée. Le commandement de l’éthique éternelle n’est-il pas de surmonter l’instinct qui nous enchaîne à notre propre personne, de prendre notre départ dans la volonté d’autrui pour la coor-