Aller au contenu

Page:Revue de métaphysique et de morale, année 16, numéro 6, 1908.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
790
revue de métaphysique et de morale.

noblesse admirables ; sa philosophie et ses actes sortaient d’une même inspiration ; il ne faisait pas deux parts de sa vie. L’action morale, selon lui, consistait en une générosité, un don complet de soi, une soumission de l’individu à un principe supérieur, ou, plus exactement, l’action morale part de ce principe même, de l’esprit. Dans l’action, l’esprit est don de soi. Lagneau conformait sa conduite à ce principe. Il croyait a l’unité de la pensée et de la vie. Comme professeur, il essayait d’éveiller la réflexion personnelle de ses élèves ét considérait que, sans l’effort venant de l’intérieur, il n’y avait pas de philosophie possible. Comme penseur, il jugeait les formules impuissantes à exprimer la totalité du réel ; la pensée doit se renouveler et s’approfondir toujours. Enfin au point de vue humain, il rêvait une société basée sur l’accord des consciences, « une société intérieure, fondée sur l’amour, la paix et la justice vraie, au sein de la société extérieure fondée sur l’intérêt, la concurrence et la justice légale ».

Sa morale n’appartient pas au groupe des morales scientifiques : elle n’est ni utilitariste, ni évolutionniste, ni sociologique. Elle ne peut être appelée non plus une morale religieuse, mais se rattache à la tendance rationaliste et rappelle, par plus d’un point, la conception de Kant. Elle exclut les éléments sensibles, imaginatifs et passionnels. Elle ne se règle pas d’après la valeur d’un objet ou celle d’un but, mais repose exclusivement sur le mouvement de l’esprit. Elle veut réaliser ce qui doit être. Or, ce qui doit être, c’est l’accomplissement de la vie la plus spirituelle, la plus complète, la plus riche. L’esprit est inépuisable ; on peut l’appeler l’absolu.

La morale est donc supérieure à la connaissance, car la connaissance ne porte que sur ce qui est, sur des objets déterminés et limités, tandis que l’action est créatrice, accomplit ce qui doit être et traduit intégralement la nature de l’esprit. Elle nous conduit ainsi à un genre de réflexion différent de celui des sciences. Celles-ci s’intéressent à des objets déterminés ; la morale, par contre, nous apprend à diriger notre attention sur l’esprit, qui n’est ni objet, ni chose, ni substance, mais synthèse, totalité réelle, concrète et vivante, mouvement intérieur et progrès.

Il résulte de là que pour étudier l’esprit, on aura recours à une méthode spéciale, qui ne sera ni la déduction, laquelle s’applique à l’enchaînement logique et nécessaire de propositions abstraites, ni l’induction qui a son fondement dans la nécessité causale ou lien