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Page:Revue de métaphysique et de morale, année 16, numéro 6, 1908.djvu/111

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G. DWELSHAUVERS.LA PHILOSOPHIE DE LAGNEAU.

sensible et la porte vers ce qui est semblable à elle, c’est-à-dire vers l’esprit qui vit dans la nature et l’anime. S’attacher à l’être, c’est pénétrer, au delà des apparences, jusqu’à l’esprit, c’est aimer ce qu’il y a de plus vivant, de plus réel dans le réel : c’est, pour la pensée, se chercher en toutes choses, se reconnaître, se plonger dans sa propre unité.

Mais quel est le sens de cette unité ? Ici intervient l’idée de Dieu. Lagneau appelle Dieu cette unité spirituelle qui implique l’identité de la nature et de la liberté, et il considère comme synonyme de Dieu les termes de pénétration, identité, action, esprit et amour. Mais ce ne sont pas là des définitions. Sa conception de Dieu en effet exclut toute détermination d’attributs. On ne peut accorder à Dieu ni attributs sensibles comme l’existence, ni attributs intelligibles, comme la finalité. Dieu est « la raison de l’impossible, de ce qui ne se conçoit pas au point de vue purement logique ». Nous l’affirmons parce qu’il nous est impossible de trouver dans la réalité l’objet entier de notre pensée. Dieu n’est ni substance, ni perfection, ni idée, mais incompréhensible unité de la réalité, de la vérité et de l’action. Nous ne pourrions nous empêcher de poser le problème de Dieu en ces termes, mais nous ne pourrions non plus lui appliquer d’une manière adéquate les formes dans lesquelles s’exprime pour nous toute connaissance. Il dépasse notre logique et ne se traduit que dans l’action et dans les sentiments qui la soutiennent. En ce sens, la raison pratique domine la raison pure, et l’on conçoit que Lagneau ait pu définir la métaphysique : « la science des ignorances invincibles, la plus science de toutes, parce qu’elle seule détache l’esprit, le redresse et lui donne en quelque sorte une attitude ».

Je ne compte pas ici énoncer une appréciation personnelle sur la philosophie de Lagneau. Il me faudrait pour cela la discuter point par point. Je me contenterai d’admirer sa haute sincérité, son acuité dans la position des problèmes et dans l’emploi de la méthode réflexive, et de constater que, par la manière même dont il traite les questions philosophiques, Lagneau se rattache directement à la lignée illustre des grands philosophes rationalistes, qui part de Platon et aboutit à Kant en passant par Descartes, Spinoza et Leibniz. Il ne sépare pas les disciplines philosophiques l’une de l’autre et considère avec raison que tout problème, pour le penseur, est à la fois métaphysique et moral, logique et psychologique. La psychologie est, pour lui, non une science indépendante, mais une