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Page:Revue de métaphysique et de morale, année 16, numéro 6, 1908.djvu/110

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revue de métaphysique et de morale.

conducteur qui nous guide à travers ces questions en les reliant l’une à l’autre.

Nous avons vu que ses réflexions morales conduisaient Lagneau à considérer la pensée comme action et mouvement intérieur se dépassant sans cesse, Nous retrouvons cette idée dans sa théorie de la connaissance : pour lui, le doute est inhérent à l’activité de la pensée, en tant qu’elle se détache des formes qu’elle a posées, les surmonte par un mouvement graduel et se manifeste ainsi de plus en plus comme raison et unité. Le doute ne se réduit pas à la substitution d’une idée à une autre. Ce qui constitue le doute, c’est une suspension de jugement, provenant de ce que, ayant la notion des conditions d’application d’une forme, nous nous rendons compte que l’intuition manque pour les appliquer. Lagneau dit encore que le doute « consiste dans le rapprochement de deux idées et le jugement que, devant se convenir, elles ne se conviennent pas ». La valeur des idées en elles-mêmes n’explique pas le doute ; il faut, pour le comprendre, étudier le rapport qu’établit le jugement ou l’acte dépensée ; mais cela ne suffit pas encore ; il y a, en outre, un mouvement qui entraîne la pensée, et qui consiste pour elle à reconnaître indéfiniment « l’insuffisance de l’idée à exprimer l’être » : car la pensée n’est pas seulement jugement et rapport, mais encore réflexion, raison, c’est-à-dire auto-critique et liberté. Le doute, c’est « l’impossibilité de trouver entièrement réalisées dans la représentation les conditions d’application de la forme ». Dès lors, l’expérience est essentiellement relative ; c’est faire acte de liberté que de le constater. Mais la liberté ne s’arrête pas là ; nous nous détachons des formes elles-mêmes, à travers lesquelles nous connaissons les objets, nous comprenons qu’elles ont leur raison d’être en un autre principe qu’elles, dans la raison ; la raison à son tour fait acte de liberté en se détachant d’elle-même, en se comprenant.

Dans le doute, « la liberté se manifeste ou devient, au lieu de se saisir comme nécessaire ». C’est ainsi que la raison réflexive cherche sa justification absolue et dépasse les formes qu’elle pose. Mais il y a un double mouvement en elle ; si d’une part elle abolit des formes, elle doit d’autre part indéfiniment en rétablir ; la pensée ne pourrait se réduire à une critique d’elle-même ; elle creuserait un abîme entre l’être réel et le mouvement intérieur qui l’emporte elle, pensée. Mais toujours ce mouvement de libération l’entraîne à »nouveau vers l’être. Il la force à dépasser l’individuel et le