Page:Revue de métaphysique et de morale, année 16, numéro 6, 1908.djvu/164

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parvenir, avec M. Bergson, jusqu’aux «données immédiates de la conscience», très différentes, il faut l’avouer, de ce que nous avons jugé d’abord être notre perception purement passive.

Ces sortes d’analyses ne sont pas entièrement étrangères à la science dite positive: l'Optique physiologique de Helmholtz que nous venons de citer en témoigne éloquemment. Mais il est à remarquer que ce grand physicien, qui était en même temps un profond penseur, considère sans aucun doute les recherches de cet ordre comme appartenant à la partie la plus avancée de la science, à son couronnement, et il est certain que cette disposition est conforme à la bonne méthode scientifique.

Quelle est donc la manière dont procède la science? Ouvrez un manuel de physique; on y dissertera parfois, aux premières pages, sur les propriétés générales de la matière, sur sa divisibilité, son impénétrabilité, etc., mais on s’abstiendra soigneusement de rechercher la sensation immédiate, de la distinguer d’avec la perception. Qu’est-ce à dire ? Tout simplement que la science — provisoirement s’entend et en tant que point de départ — se sert des perceptions en leur entier, telles que les sens semblent les offrir dès l’abord à l’homme non prévenu.

L’ensemble de ces perceptions est désigné en philosophie comme le monde du «réalisme naïf». Ce n’est en effet autre chose qu’un système métaphysique ou ontologique, une théorie posant l’existence d’objets «en soi», en dehors de la conscience. On a quelquefois feint d’en douter; on a prétendu que le sens commun n’affirmait que l'existence d’une «possibilité permanente de sensation». Mais c’est là une théorie manifestement insuffisante, le sens commun ne se contente pas de poser la permanence d’une vague forme d’être en puissance ayant besoin, pour passer à l’existence, d’une sorte d’entéléchie, il affirme l’existence de la chose elle-même, entièrement indépendante de la sensation. Cette table rouge que j ’ai aperçue tout à l’heure, que je n’aperçois plus, — si je consulte mon sens commun seul — persiste toujours dans la plénitude de son existence, conservant toutes les qualités que tout à l’heure j ’ai simplement perçues, et notamment celle d’être de couleur rouge.

Que si, au lieu de m’adresser au sens commun de l’homme naïf, j’interroge le sens de la réalité d’un physicien, ce dernier formulera d’abord, en toute clarté et précision, une restriction importante : il niera que la couleur rouge persiste réellement dans la table quand