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Page:Revue de métaphysique et de morale, année 16, numéro 6, 1908.djvu/166

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être dégagée de toute supposition sur la nature de la réalité.

Nous avons parlé plus haut de la permanence des objets; c’est en effet, à l’égard de nos sensations, leur trait le plus caractéristique. «Cette idée de quelque chose qui se distingue de nos impressions fugitives par le caractère que Kant appelle la perdurabilité, qui reste fixe et identique, quand nos impressions varient; qui existe, que nous le sachions ou non, et qui est toujours carré (ou d’une autre figure) qu’il nous apparaisse carré ou rond, c’est ce qui constitue toute notre idée de substance extérieure» dit Stuart Mill. — Observons en passant que Mill a bien fait de ne parler que de figure; en effet, nous l’avons vu, il n’en est pas tout à fait de même, du moins pour le physicien, en ce qui concerne la couleur. Mais il est certain que ce physicien, pas plus que l’homme naïf, ne se demandera si son instrument continue à exister quand il détourne la tête. A supposer qu’il soit, ce qui s’est vu, le partisan en métaphysique d’un système idéaliste ou solipsiste très avancé, il se gardera soigneusement de laisser ces convictions intervenir pendant qu’il travaille.

Tout comme aux moments où il s’agit de problèmes de la vie ordinaire, il cessera à ce point de vue d’être philosophe, suivant le conseil du pyrrhonien Huet, deviendra «idiot, simple, crédule» et «appellera les choses par leur nom».

Mais on peut aller plus loin. Le savant croit si bien à l’existence des choses permanentes, qu’il en crée de nouvelles. Certains concepts constitués par la science présentent en effet une complète analogie avec ceux du sens commun, ne sont, par le fait, que de véritables objets dans le sens qu’attribue à ce terme le «réalisme naïf». C’est à cette catégorie qu’appartiennent par exemple quantité de ceux que la science découvre à l’aide d’instruments de recherche tels que le microscope ou le télescope. Cela est si vrai, l’analogie dont nous venons de parler est à ce point complète que l’on aura probablement quelque peine à expliquer à un biologiste habitué à suivre sous le microscope les évolutions d’un microorganisme particulier, que ce dernier n’est pas réel absolument au même titre que n’importe quel animal visible à l’oeil nu. Or, il est certain que le consensus omnium, la communauté d’opinion de l’immense majorité des hommes au sujet de l’existence du monde réel, fait partie intégrante du concept du sens commun; alors que le microbe en question est certainement ignoré par une grande partie de l’humanité, et que la plupart de ceux qui croient à son existence ne le font que