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Page:Revue de métaphysique et de morale, année 16, numéro 6, 1908.djvu/168

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connaissons à la fois par la sensation directe et par l’observation scientifique. Descartes déjà remarque que nous avons «deux idées du soleil toutes diverses»; l’une qui «tire son origine des sens» et l’autre qui «est prise des raisons de l’astronomie».

Pour notre sensation immédiate, le soleil est un tache lumineuse ; il pourrait à la rigueur être simplement un phénomène éphémère: on sait qu’Héraclite supposait qu’un nouveau soleil naît tous les jours à l’aurore pour périr au coucher. C’est le raisonnement scientifique, appuyé par des observations télescopiques, qui le transforme en un corps stellaire dont la masse dépasse immensément celle de notre terre. Ainsi donc la science, là où le sens commun ne suffisait pas à la constitution d’un véritable objet matériel, est venue à son aide et a travaillé tout à fait dans la même direction, en assurant la permanence de la chose alors qu’elle reste invisible et en lui ajoutant de la réalité ou de la corporéité, si l’on ose dire, en la constituant d’après les modèles fournis par le réalisme naïf: le soleil est une masse incandescente, à peu près comme celles qui coulent d’un convertisseur de Bessemer. D’ailleurs, une fois cette image du soleil constituée, la science s’y tient; jamais elle ne revient à la sensation directe; toutes les fois qu’il sera question du soleil dans l’astronomie , il vous faudra penser, comme Descartes l’a remarqué, à l’immense corps stellaire incandescent, jamais vous n’entendrez plus parler de là petite tache lumineuse et éphémère. On peut constater quelque chose d’analogue à propos de concepts scientifiques d’un ordre très différent, tels que la masse, la force, l'énergie. Nous avons, autre part, étudié plus en détail la formation de ces concepts et tenté d’établir la véritable nature des principes de conservation. Contentons-nous d’observer ici que ces concepts, à l’origine, ne sont évidemment que des rapports.

La masse est le coefficient que les corps manifestent lors de l’action mécanique; la force n’est que la cause de l’accélération, laquelle est une différence de deux vitesses; l’énergie est un concept plus compliqué encore, impossible dans certains cas à définir en totalité: c’est d’ailleurs une simple intégrale, caractérisant non pas un corps, mais un système et dont on n’étudie que les variations. Il n’empêche que la physique a manifestement la tendance de traiter ces concepts en choses réelles.

A certains égards la réalité qu’elle leur attribue est même supérieure à celle que le sens commun suppose aux objets crées par lui. En effet, le caractère distinctif de ces derniers, la