anima de son esprit, joignant la rigueur de la réflexion rationnelle à une inépuisable chaleur de cœur.
Lorsque Lachelier quitta ses fonctions d’Inspecteur général, M. Rabier fit appel à Darlu pour remplir, à son tour, cette tâche lourde de responsabilités. Darlu devait la remplir pendant vingt ans.
L’heure de la retraite fut pour lui, plein de feu encore et d’activité, comme un son de glas : jamais, plus que dans sa dernière tournée, il n’avait mieux manifesté son autorité de chef et son ardeur d’apôtre. Il accomplit jusqu’au bout sa dernière charge, celle de vice-président de l’Agrégation de philosophie, et il est mort de l’avoir accomplie jusqu’au bout. C’est au surmenage d’une double session qu’est dû le fléchissement de son cœur.
Il accepta la maladie avec la sérénité du sage. Il ne se faisait aucune illusion. À ceux qui l’approchaient et qui essayaient de tromper la lucidité de son esprit, il déclarait que son œuvre était achevée, l’avenir de ses enfants assuré.
Lui qui aimait tant la vie, il affirmait qu’il mourait sans regret. Sa seule
tristesse était d’assister à ce qu’il appelait sa propre déchéance, sa seule
crainte de voir s’obscurcir son cerveau. Son cerveau cependant demeurait
intact : ses vieux élèves s’en apercevaient dans ces visites qu’ils venaient
lui rendre pour essayer de distraire sa solitude et lui faire oublier un
moment sa pénible inaction. Dans ces suprêmes entretiens sur lesquels
planait comme un voile funèbre, il n’avait rien perdu de sa pénétration
et de sa vigueur. Nous retrouvions notre ancien maître, son esprit toujours
bouillonnant. Nous le quittions presque rassurés, tant la vie semblait
ancrée en lui, émus aussi de toute la reconnaissance qu’il nous témoignait
pour une affection si naturelle et de son étonnement d’avoir laissé dans
nos cœurs de si profonds souvenirs. Modeste dans sa vie, il est resté
modeste dans la mort. Il a voulu disparaître dans la tombe sans discours
et sans pompe, entouré seulement de sa famille et de ses plus intimes
amis. On offenserait sa mémoire en vantant ses mérites. Mais ceux qui
le pleurent n’oublieront jamais ce qu’il a été pour eux : la lumière de la
conscience, l’exemple vivant du devoir.