Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 2, 1920.djvu/5

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instinct assez sûr une psychologie utile ; elles ne visent pas à la pure vérité, mais elles affirment ce qu’elles ont intérêt à rendre vrai de cette manière. Elles ne sont pas philosophes, elles sont pragmatistes ; et cela est très différent.

Seulement on voit combien cette conception tend à rétrécir le champ de la conscience. Elle s’habitue à regarder presque uniquement en dedans ; on l’incite à cet « examen de conscience », la plupart du temps aussi rétrospectif qu’introspectif, et d’où ne résultent guère que des sentiments tout subjectifs de repentir ou de satisfaction morale, mais non pas une compréhension plus juste et plus pénétrante des choses à faire et des raisons de les faire. L’homme consciencieux semble se vouer à l’acquisition de vertus ; sa préoccupation dominante est celle de son mérite ou de son démérite plutôt que celle du bien à réaliser. Il n’est pas jusqu’à la notion de devoir, si évidemment sociale par sa nature et par ses origines, qui ne se rabougrisse à la notion d’un devoir envers soi-même, au point que Kant en vient à cet évident sophisme que s’il n’y avait pas de devoir envers soi-même, il n’y en aurait d’aucune sorte ; comme si parce que le commandement du devoir s’adresse à notre volonté, ce qui est une vérité naïve, il en résultait que notre volonté, dut prendre pour unique objet notre propre personne, ce qui est un paradoxe.

Quelle est, historiquement, la principale cause de ce tour pris par notre sens moral ? Je ne veux instituer ici aucune querelle de doctrine au moment où nous avons besoin de mettre en œuvre toutes nos forces morales, nous n’avons pas le droit d’en négliger ni d’en discréditer aucune. Mais enfin il est difficile de ne pas voir quelle part a eue le christianisme dans l’évolution que je viens de décrire et que, à certains égards le stoïcisme avait déjà préparée. Cette constatation même n’a rien, nous allons le voir, qui soit de nature à froisser les croyants. Non seulement il est tout à l’honneur de la religion chrétienne qu’elle ait, plus expressément, plus assidûment qu’aucune autre institution, assumé, pendant des siècles, la délicate fonction de l’éducation morale commune et populaire, dont on ne constate dans l’antiquité aucune organisation précise ; mais il était peut-être utile que la religion donnât cette éducation sous cette forme, et impossible qu’elle la donnât autrement. Il était, en effet, difficile d’élever les masses et des masses fort incultes à un vif sentiment de l’obligation morale, de la responsabilité, de l’autorité de