ce qui est une autre manière de parler qui traduit la même pensée fataliste, un décret de la Providence. Il n’y avait qu’à s’incliner et à se débrouiller comme on pouvait suivant les règles d’un jeu d’échecs dont nous n’avions pas posé les pièces à l’origine.
Sans doute on pouvait se souvenir qu’il y avait un « Décalogue » qui, lui, était bien un code, un reste d’une vieille législation élémentaire inscrite sur les Tables du vieux Livre, plutôt qu’il n’était l’émanation du nouveau. Mais s’il défendait de tuer, de voler, il laissait dans une entière indétermination ce point essentiel quand : vole-t-on et même, n’y a-t-il pas bien des manières de tuer et des degrés dans le meurtre ? La vie a des degrés ; qui agit de façon à l’amoindrir, tue un peu. De même, par exemple, vole-t-on en prélevant un profit sur une marchandise, un intérêt sur l’argent ? Le prêt à intérêt condamné d’abord sans restriction comme « usure » s’est pourtant maintenu et même développé comme une nécessité inéluctable de la vie économique, et la conscience était ainsi comme bafouée pour s’être mêlée, sans compétence, d’une question subtile où elle ne voyait goutte. Dans la sphère de la vie politique également les institutions se transformaient tantôt par lente évolution, tantôt par brusques révolutions sans qu’il fût aisé pour la religion de prendre parti. Sans doute, en général, elle prenait le parti de « l’Ordre ». Mais où est l’ordre véritable, c’est-à-dire le plus juste et le plus stable ? L’ordre présent ne peut-il être plein de désordres et gros de révoltes ? L’ordre traditionnel eut-il subsister quand certains de ses éléments évoluent plus vite que d’autres, quand des traditions étrangères s’infiltrent incessamment dans la nation ? Là encore il fallait donc se résigner, s’adapter en se contentant de « rendre à César ce qui est à César », c’est-à-dire en abdiquant dans l’ordre politique comme dans l’ordre économique.
II. Ainsi la principale force éducatrice consciente, – en dehors de celles qui s’exercent spontanément dans la vie elle-même, ne pénétrait pas l’action sociale dans ses multiples manifestations. Nous avons une morale très générale qui suffirait peut-être si nous n’étions que des « hommes en général », alors que, dans la majeure partie de notre existence, nous sommes des citoyens, des chefs de famille, des ouvriers, des hommes d’affaires, des travailleurs de l’esprit, etc. À l’égard de toute cette série d’activités notre conscience reste flottante, comme un esprit qui n’aurait pas trouvé son corps. Il semble que, à l’ambition spécieuse d’une morale universelle,