Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 3, 1912.djvu/112

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hommes, en aliénant leur liberté naturelle, ont retrouvé plus qu’ils n’ont donné ; qu’ils ont échangé une manière d’être, précaire contre la sécurité, l’indépendance contre la liberté, la force contre le droit. Même dans le Discours sur l’inégalité des conditions, Rousseau ne propose pas comme idéal la période la plus primitive du développement humain. L’état le meilleur dans le passé, ce n’est pas, suivant ses explications, le pur état de nature, c’est la société naissante. C’est lorsque les hommes ont déjà inventé le langage, fondé la famille, assuré la stabilité du foyer, lorsque l’agriculture, les travaux de la terre ont nécessité la constitution de la propriété individuelle, que les hommes, engagés dans les lieux de la société, déjà robustes mais encore souples, jouissent le plus pleinement des biens naturels et sociaux. La fameuse phrase de Rousseau sur la propriété n’a pas été très bien comprise. Oui, Rousseau a écrit : « Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui arrachant le pieux ou comblant les fossés eut crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne  ! » — Eh bien ! Messieurs, malgré tout cela ; Jean-Jacques ne conteste pas la nécessité de la propriété individuelle à un moment des révolutions humaines. Il n’en conteste pas non plus la légitimité. Aussitôt à la suite de ce passage, il déclare que la constitution de la propriété individuelle était inévitable et qu’elle est légitime lorsqu’elle est fondée, sur le travail. Ce qu’il à voulu dire, c’est que d’abord dans l’institution, dans l’origine de cette propriété individuelle, il y a un mélange de droit et d’usurpation, de force, de hasard et de travail, et ensuite que les hommes n’étaient pas capables d’entourer cette propriété de telles garanties qu’elle ne dégénérât pas en instrument de tyrannie et de spoliation. C’est une force bonne et salutaire en soi, mais qui, insuffisamment maîtrisée, se déchaînera et aboutira aux plus monstrueuses inégalités.

C’est là le sens, la clef de toutes les théories de Rousseau sur le développement de la société. Elles peuvent se résumer ainsi : la faiblesse humaine est disproportionnée au progrès humain.

Oui, des hommes ont raison d’élever leur âme à Dieu et d’instituer