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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

entreprennent de décrire leurs états psychologiques, soit parenté réelle et profonde entre les expériences intérieures qu’il traversent, un certain nombre d’éléments communs se retrouvent dans toutes leurs descriptions. Avec Flournoy, M. Delacroix serait disposé à distinguer quatre phases principales dans toute extase complète ; la libération du moi ; la conscience d’une autre réalité, essentielle et immuable ; le moment paroxystique où se produit le contact avec cette réalité même ; le retour à soi, avec persistance affaiblie de l’impression de contact, délectation consciente de sa douceur et commencement d’un processus rationnel d’assimilation.

Supposons que, de son contact avec l’ineffable, l’extatique rapporte l’idée ou le sentiment d’une mission révélatrice, nous voyons surgir l’inspiration prophétique et le prophète : « homme de passion et d’entreprise, que sa mission conduit, et qui travaille à la remplir ». Ce type de croyant se rencontre particulièrement au début des religions et son action est d’autant plus étendue qu’elle s’exerce sur un milieu moins hiérarchisé et organisé. Au degré le plus simple se trouve le charisme prophétique, invasion de l’individu par l’esprit et annonciation de la bonne nouvelle à la communauté religieuse. Dès ce moment la glossolalie ou prophétie extatique, révélation passive, subie par le sujet et souvent inintelligible pour lui-même, s’oppose à la prophétie raisonnable qui, dans toutes les églises organisées, tend à supprimer de plus en plus complètement la première. La grâce et l’inspiration, phénomènes extrêmement généralisés, représentent les formes les plus répandues et aussi les plus modestes de cette communication avec le divin.

Toute foi intense engendre inévitablement et normalement le fanatisme. Contre Murisier qui, dans son livre sur Les maladies du sentiment religieux, a présenté le fanatisme comme une forme pathologique et spécifiquement sociale de la croyance, M. Delacroix soutient avec pleine raison que les religions aspirent inévitablement à dominer et à s’imposer ; elles sont, pourrait-on dire, essentiellement impérialistes et ce ne sont jamais les religions, « pas même celles qui en apparence, se réclament du libre examen, qui apportent la liberté religieuse » ; on peut donc s’attendre à ce que toute foi tende spontanément vers le fanatisme. Une première forme de ce genre de croyance est l’illumination individuelle ou, comme l’on disait autrefois, l’enthousiasme ; mais on peut encore devenir fanatique par excès de certitude, c’est le fanatique actif,