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É. GILSON. — la religion et la foi.

violent, tout près du paranoïaque, et parmi lesquels se recrutent en général les plus beaux types de persécuteurs. Il existe encore un fanatisme : « par besoin de stabilité », le fanatisme passif des individus qui défendent farouchement leur équilibre intérieur contre toutes les idées qui le menacent et, au besoin, passent à l’attaque pour mieux assurer leur défense. Il existe enfin une forme sociale du fanatisme, le dévouement absolu, aveugle, de l’individu au groupe religieux dans lequel il se trouve inséré.

Telles étant les formes et les manifestations principales de la foi religieuse, il reste à déterminer comment l’on y entre et comment on en sort. On entre dans la foi par conversion, soit qu’il s’agisse de la formation lente, volontaire et progressive de croyances comme ce fut le cas pour Jean-Jacques Rousseau, soit qu’il s’agisse de conversions proprement dites, avec le sentiment d’une rénovation de l’âme et de la face même des choses qu’elle entraîne, la logique passionnée qu’elle met en œuvre pour s’achever et se justifier, le passage de l’inquiétude intérieure à l’enthousiasme qu’elle déterminé. Tantôt cette modification profonde de la conscience se produit brusquement, soit comme la conclusion d’une crise consciente, soit sans que la préparation antérieure ait été perçue ; tantôt la conversion se produit sans crise, sans drame intérieur, comme l’accomplissement normal d’un fait prévu et attendu. Il est extrêmement probable que, perçu ou non, un assez long travail de préparation précède toute conversion profonde, et bien des circonstances extérieures : influence d’amis qui se convertissent, désorganisation du milieu social ou autres conditions analogues favorisent l’acceptation de la foi par une conscience qui lui demeurait jusqu’alors indifférente ou hostile. De même qu’on entre dans la foi par conversion on en sort par le doute. Il peut arriver que ce soit l’habitude sociale inséparable de toute foi qui se trouve rompue par le passage du croyant d’un groupe social dans un autre, ou que l’élément affectif de la foi s’affaiblisse, comme toutes les passions, par usure naturelle, ou qu’enfin l’élément rationnel de la croyance cède sous le choc dés critiques dont il est l’objet. Dans ce dernier cas une sourde inquiétude, une sorte de malaise accompagnent le premier choc à la suite duquel la croyance commence à fléchir puis, une nouvelle croyance s’ébauche et, après une période d’oscillations pendant laquelle les deux systèmes coexistent, il y a terminaison du doute par retour à la croyance ancienne