la vie consiste à tirer, du chaos des consciences, des volontés et des fins individuelles, une conscience, une volonté, une fin collective, et que la manière d’y parvenir, c’est de développer l’État socialiste, par la socialisation des organisations d’État existantes, et leur fusion, leur union pacifique dans un État mondial » (p. 151). Et sur le catholicisme, sur le militarisme. M. Wells est amené à des conclusions que le « radicalisme » français aura peine à admettre ou à comprendre : conclusions utiles cependant à méditer pour qui veut connaitre les vrais caractères du mouvement universel qui emporte les sociétés civilisées, à l’heure présente, dans le sens du socialisme. Nous n’avions en particulier rien lu encore qui fût miens de nature que certaines pages de M. Wells (p. 151-199) à nous faire comprendre l’attitude du moderniste vis-à-vis de l’organisation catholique. Nous ne disons pas que les parties proprement philosophiques du livre ne soient pas quelquefois un peu désappointantes pour le spécialiste. Nous ne disons pas que, dans ce livre, la pensée sociale de M. Wells ne dégénère pas quelquefois en un mysticisme un peu vague : M. Wells en rit lui-même aux dernières pages du livre. Mais, après tout, il y a toujours avantage pour le spécialiste à savoir ce que deviennent ses théories lorsqu’elles sortent de sa tête pour entrer dans celles des « amateurs ». Il faut lire ce livre sérieux et sincère, dépourvu de pédantisme, quand ce ne serait que pour être amené à lire tous les ouvrages antérieurs, si constructifs à la fois et si pratiques : nous nous accusons de ne les avoir encore jamais signalés dans notre bibliographie.
M. G. Lowes Dickinson nous donne un dialogue platonicien à trois personnages. Charles Stuart, un banquier, qui plaide, contre ses interlocuteurs la cause du sens commun et des institutions existantes. Sir John Harington, a gentleman of leisure, un disciple de Platon, qui rêve d’un état de choses où la société morale et la société économique seraient gouvernées d’en haut, autoritairement, par une aristocratie de sages. M. Henry Martin, enfin, un professeur — comme l’auteur du livre — qui veut une société démocratique, où tous les citoyens se concertent pour gérer en commun toutes les institutions de l’État, la procréation et l’éducation des enfants, la distribution des tâches et des rémunérations. Ce ne sera pas l’uniformité : mais variété ne veut pas dire nécessairement rapport de supérieur à inférieur. Ce ne sera pas un régime d’autorité substitué au régime actuel d’oppression industrielle : mais les rémunérations seront combinées de telle sorte que, selon les lois de l’offre et de la demande, un nombre suffisant d’individus se présente pour accomplir les tâches que l’État a besoin d’accomplir. M. Dickson a besoin, pour que son idéal se réalise, de la conversion des riches et de la patience des pauvres : il demande à ceux-ci exactement « un demi-siècle de patience ». Mais tout le livre de cet universitaire socialiste respire l’impatience de l’injustice, la haine de la richesse.
« Le problème de savoir quelle doit être la vie intellectuelle d’un fonctionnaire politique rentre dans un problème qui d’année en année présente pour nous un intérêt plus immédiat. Dans la littérature et dans la science aussi bien que dans le commerce et l’industrie le producteur indépendant disparaît, le fonctionnaire prend sa place. Nous sommes presque tous des fonctionnaires aujourd’hui, soumis pendant nos journées de travail, soit que nous écrivions dans un journal, soit que nous donnions des leçons dans une université, soit que nous tenions des comptes dans une banque, à des limitations de notre liberté personnelle que nous impose l’intérêt général de la société dont nous sommes membres. » Ainsi s’exprime M. Graham Wallas dans son livre sur la « Nature humaine en politique ». Comme M. Wells, comme M. Dickinson il est socialiste : mais il ne se pique pas d’être imaginatif : procédant à la manière fabienne, il accepte le socialisme comme un fait et se pose le problème de savoir comment pourra se faire l’application de la science politique à cette société où nous vivons, et que les hommes d’état subordonnent de plus en plus à leur action consciente. Le livre de M. Graham Wallas fait songer souvent au livre de M. Lévy-Bruhl. Avec moins de rigueur scolastique, on y trouve un sens plus vif du réel : M. Graham Wallas n’est pas seulement professeur au London School of Economies, il a été pendant de longues années, membre du School Board, puis du County Council de Londres, il a mené des campagnes électorales, il a fait de la besogne administrative. Veut-on donner, de l’ouvrage de M. Graham Wallas un bref résumé, qui en laisse échapper nécessairement les qualités les plus vivantes et les plus caractéristiques ? En réaction contre l’intellectualisme abstrait du xviiie siècle, le problème est d’introduire en politique les méthodes de la science expérimentale, qui ont obtenu déjà, suivant M. Graham Wallas, tant de succès en pédagogie et en