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viscérale que l’on constate chez elle (cette anesthésie n’est du reste point totale ; elle n’atteint point à vrai dire les sensations, mais seulement les données affectives qui les accompagnent ordinairement, p. 187). Il faut conclure contre James que les sensations viscérales sont seules affectives et sont l’essentiel dans l’émotion, comme le prouve ce cas de perte de l’émotivité subjective avec anesthésie viscérale et avec conservation des mouvements et des sensations physionomiques.

Cette dernière thèse n’est pas démontrée. On n’a démontré nulle part, au cours de ce travail, que les sensations viscérales sont, en elles-mêmes, des émotions : on les a définies ainsi, ce qui n’est pas la même chose. On n’analyse point ces sensations et on se borne à énumérer sommairement les principales. On nous dit que, chez la malade en question, l’anesthésie viscérale qui entraînerait la disparition de l’émotivité porte non pas sur la sensation comme telle, mais sur la tonalité affective, douleur, volupté, faim, soif, dégoût, angoisse (p. 187) ; et en effet l’étude de la malade indique (p. 177) la persistance de sensations internes. Mais, s’il en est ainsi, le problème était justement d’établir le rapport des sensations internes comme sensations aux affections qui les complètent ; en d’autres termes ici encore le problème du caractère affectif des sensations viscérales. Enfin le cas cité paraît équivoque, ou, en tout cas, n’est pas décisif.

En ce qui concerne la première thèse, il est très vrai que nous pouvons agir autrement que sous la poussée de l’émotion. On avait remarqué cette indépendance, l’auteur la précise.

L’expérience et l’invention en morale, par G. Aslan, docteur ès lettres de l’Université de Paris, 1 vol. in-16 de iv-175 p., Paris, Alcan, 1908. – « On a peine à imaginer, dirons-nous avec M. Séailles, qui a donné à M. Aslan trois ou quatre pages de préface, que ce livre soit l’œuvre d’un étranger, tant il révèle un esprit tout pénétré de la culture française » (p. 1). M. Aslan, qui est roumain, parle de tous ceux qui, dans la France contemporaine, métaphysiciens et sociologues, ont discuté le principe de la morale, moins en lecteur qu’en élève ; il comprend mieux les livres, parce qu’il connaît les auteurs. Après avoir très clairement posé le problème, s’il est « nécessaire et possible de fonder la morale » il consacre une série d’essais critiques à la « morale de la raison théorique » de M. Cresson, à la « morale des idées-forces », puis, abandonnant les doctrines rationalistes pour les doctrines empiristes, les théories de M. Durkheim, celles de M. Lévy-Bruhl, celles enfin, pour finir (parce que c’est là que vont les sympathies intellectuelles de l’auteur) de M. Belot. Tout cela est judicieux, sincère – clairement et souvent spirituellement écrit. On est un peu désappointé par l’absence d’une conclusion positive. L’auteur, qui se rattache à l’école naturaliste, ne pense pas que ce soit une raison pour confondre, avec un trop grand nombre de sociologues, le contenu objectif d’une règle d’action », et « le jugement par lequel on attribue un sens moral à cette règle ». Il reproche pareillement à la plupart des écrivains contemporains qui se sont occupés de morale d’absorber abusivement dans les problèmes politiques la totalité du problème moral. « Au contraire, on dirait que la tendance la plus visible dans les pays libres, c’est de séparer la politique de la morale, de ne pas se croire tenu d’y apporter même la probité commerciale : l’indulgence qu’on accorde aux politiciens le prouverait assez. Cette tendance est fâcheuse à coup sûr, et c’est probablement pour réagir contre ce pessimisme sceptique, qu’on cherche à montrer l’importance morale de l’action politique. Oui, il doit y avoir de la moralité dans la pratique civique, mais toute la moralité ne saurait résider dans l’action sociale ou civique » (p. 169-170). Attendons, pour plus de précision, le jour prochain, où, suivant sa propre promesse, M. Aslan nous fera connaître, « à côté de l’expérience, le rôle de l’invention en morale ». Remercions-le de nous avoir donné, pour l’instant, un petit compte rendu de doctrines très exact, et très portatif.

La morale intellectuelle, par G.-L. de Lanessan, 1 vol. in-8 de 412 p., Paris, Alcan, 1908. — Persuadé que les religions qui prétendent faire dériver d’un enseignement divin la connaissance du bien, ne sont que des œuvres de mensonge et de domination, que, d’autre part, les métaphysiciens s’égarent à chercher les principes de la morale dans les données innées ou les aspirations idéales d’une âme qui n’a pas de réalité en dehors de leur imagination, — et qu’enfin, à une époque où les faits d’observation et d’expérience commencent à être considérés comme devant servir de base à l’instruction de la jeunesse, les doctrines morales ne devraient être édifiées que sur des données expérimentales » (p. 42), M. de Lanessan entreprend de nous donner une morale qui soit vraiment naturelle et par conséquent scientifique et positive. Il