n’entend pas par là que l’on doive déterminer rationnellement, d’après la considération de la nature de l’homme et de ses conditions d’existence, quelles règles il lui serait utile ou convenable de suivre. Il ne s’agit que de retrouver les modes de conduite où l’homme en fait se porte en vertu de sa nature. M. de Lanessan examine donc la constitution de l’homme afin d’y prendre en leur source ses besoins et les dispositions morales consécutives. Les besoins primordiaux de nutrition, de reproduction, d’activité sont essentiellement des principes d’égoïsme et engendrent la défiance, la ruse, l’hypocrisie, l’esprit de domination, etc. Cependant le besoin de reproduction, en suscitant une organisation rudimentaire de la famille, et l’intérêt égoïste en trouvant quelques-unes de ses conditions dans l’association humaine, sont devenus les sources d’un altruisme qui va se développant avec la civilisation. Il appartient donc à l’éducation, de laquelle seule et non de l’hérédité dépendent nos penchants et nos idées, de favoriser et de développer l’altruisme. Ainsi formera-t-on l’homme vrai, dont M. de Lanessan trace complaisamment le portrait, et qui ressemble trait pour trait à l’honnête homme de tous les moralistes.
C’est qu’il n’y a aucun rapport entre les principes de M. de Lanessan et ses conclusions. Les dispositions que l’on appelle immorales (domination, hypocrisie, gourmandise, etc.) sont dans la nature au même titre que les autres ; et, s’il n’y a point d’autre source de nos jugements de valeurs que nos besoins, il faut donc dire que l’hypocrisie vaut le dévouement. Quand on affirme qu’il faut développer l’altruisme, c’est donc au nom d’un principe que l’on prend ailleurs que dans l’instinct, ne fût-ce que dans l’idée de l’intérêt social, dont il faut encore expliquer pourquoi l’individu le prendrait pour règle. La psychologie des besoins et des penchants qui, telle que la présente M. de Lanessan, ne manque pas d’intérêt, ne comporte pas de conclusions pratiques. En y superposant gratuitement cette affirmation que l’altruisme vaut mieux et qu’il convient de le développer en telle mesure, M. de Lanessan a passé, sans le voir, par-dessus le problème moral. Il se peut bien que les philosophes qu’il dédaigne ne l’aient pas résolu scientifiquement. Au moins, ils l’avaient compris.
Syndicalisme et démocratie, par C. Bouglé, professeur à l’Université de Toulouse, chargé d’un cours la Sorbonne, 1 vol. in-18 de viii-228 p., Paris, Cornély, 1908. – Syndicalisme révolutionnaire et syndicalisme réformiste, par F. Challaye, 1 vol. in-18 de 156 p., Paris, Alcan, 1908. — Deux grandes forces collectives exercent sur la vie sociale, dans l’Europe contemporaine, une sorte d’action polarisatrice. C’est, à droite, dans le parti qui est épris d’ordre, d’autorité, de conservation, l’Église catholique, avec son dogmatisme, sa hiérarchie, sa discipline. C’est, à gauche, dans le parti qui est choqué par tout ce que l’ordre existant dissimule de souffrances et d’injustices, le syndicalisme ouvrier, où se concentre toute la force de résistance des classes salariées contre l’exploitation dont elles sont les victimes. Ni M. Bouglé, ni M. Challaye, ne sont des « membres » de ce parti syndical. Inégalement modérés, ils le sont cependant l’un et l’autre par la force des choses, et pour les mêmes raisons : M. Challaye s’arrête sur le seuil du syndicalisme révolutionnaire comme M. Bouglé s’arrête sur le seuil du socialisme unifié. Mais l’un et l’autre subissent l’attraction du mouvement syndical, invinciblement. L’un et l’autre le connaissent bien. Le livre de M. Challaye se compose de deux études parues dans la Revue de Métaphysique et de Morale. Le livre de M. Bouglé comprend, outre une série d’articles parus depuis deux ans dans la Dépêche de Toulouse, une longue étude sur « les syndicats de fonctionnaires », parue ici même. Nos lecteurs savent donc déjà que les deux volumes doivent prendre place dans la bibliothèque de quiconque s’intéresse au mouvement syndical contemporain, à l’histoire de sa vie intérieure, de ses progrès et de ses crises.
Démocratie, patrie et humanité, par J. Girod, 1 vol. in-16 de 172 p., Paris, Alcan, 1908. — Qui donc disait que l’Université devient « révolutionnaire » ? Voici du moins un livre propre à rassurer les plus défiants. La sagesse en est exemplaire. On y verra que l’inévitable évolution des formes de gouvernement vers la démocratie n’empêche nullement la conciliation de l’amour de la patrie avec celui de l’humanité, des droits de la famille avec ceux de l’État, du souci de la « noblesse » avec celui de l’égalité, des exigences de la solidarité avec celles de la liberté, etc.
L’auteur reconnaît, il est vrai, que « parmi les problèmes les plus importants et les plus délicats dont la démocratie ait à poursuivre la solution, il faut, de l’avis commun, placer en première ligne la question sociale » (p. 95). Et il aboutit à cette conclusion audacieuse que la propriété est avant tout et surtout objet de devoir, et, secondairement, objet de droit