impliquent la possibilité d’explications théologiques différentes, en fonction des diverses philosophies » (p. 106). Ainsi il y a, dans les doctrines humaines agissant sur les énoncés de la foi, une large part d’humanité et d’incertitude. Saint Thomas résume le rôle de la théologie rationnelle en cette courte phrase : ad cognos cendum fidei veritatem… veras similitudines colligere (1 C. G. 8). C’est le principe d’un symbolisme théologique.
On pourrait se demander si la distinction de l’intellectus et de la ratio n’affaiblit point la première thèse de l’auteur, en restaurant sous le nom d’intellect une faculté d’appréhension qui n’est point analogue à l’intelligence humaine. On pourrait aussi chercher à restreindre, par des réserves dogmatiques, le probabilisme de la seconde thèse. Mais elles enferment une part de vérité, et elles sont présentées de façon solide.
Œuvres de Blaise Pascal, publiées suivant l’ordre chronologique, avec documents complémentaires, introductions et notes, par Léon Brunschvicg et Pierre Boutroux ; trois volumes in-8 de 406, 574, 598 p., Paris, Hachette, 190. — Cette édition fait suite à l’édition des Pensées que M. Brunschvicg a publiée dans la même collection (Les grands écrivains de la France). Les trois volumes qui la composent comprennent tous les écrits de Pascal, dans l’ordre chronologique, jusqu’au Mémorial du 23 novembre 1654, c’est-à-dire jusqu’à la conversion définitive ; elle sera complétée prochainement par la publication des œuvres ultérieures. Les éditeurs y ont joint divers écrits du père et des sœurs de Pascal, ainsi qu’un résumé des événements au milieu desquels s’est déroulée l’activité philosophique et scientifique de cet incomparable esprit. La partie mathématique et physique est particulièrement intéressante ; les notes et commentaires sont de M. Pierre Boutroux en ce qui concerne les documents mathématiques.
Cette publication, qui réunit toutes les pièces jusqu’ici éparses dans des collections ou dans des recueils spéciaux, nous paraît appelée à rendre de grands services aux historiens de la science et de la philosophie, en même temps qu’elle constitue un monument définitif à la mémoire de Pascal, le seul vraiment digne de lui.
La philosophie de Taine, essai critique, par Paul Nève, docteur en philosophie, 1 vol. in-12 de xvi-359 p., Louvain, Institut supérieur de philosophie ; Paris, Lecoffre ; Bruxelles, Dervit, 1908. — « Plusieurs estiment, avec M. Amédée de Margeri, que Taine a nié la métaphysique : d’autres prétendent avec M. Barzelotti que Taine, tout en déclarant la métaphysique possible, a pour lui-même renoncé à en rechercher les principes. — L’une et l’autre de ces opinions sont erronées » (p. xii-xiii). M. Nève écrit son livre pour le prouver. Il résume d’abord brièvement la biographie de Taine, — trop brièvement à notre gré : une étude plus « génétique » était possible, de cette métaphysique bizarre, à la formation de laquelle la lecture de Hegel et la lecture de Condillac ont contribué, mais, à aucun degré, chose caractéristique et curieuse, la lecture des psychologues anglais, de Hume ou de ses disciples. Puis M. Nève résume les théories de Taine sur « les Causes » (première partie), passant successivement en revue la métaphysique, la cosmologie, la sociologie, la psychologie, l’esthétique, puis « les Normes » (deuxième partie) : M. Nève étudie, dans cette deuxième partie, la morale, la logique, la politique de Taine, et la doctrine de Taine sur l’idéal dans l’art. L’exposé est toujours exact, la critique généralement judicieuse, bien que M. Nève abuse de l’argument classique un peu usé, suivant lequel il est impossible de formuler et d’appliquer des normes dans un système rigoureusement déterministe.
Comment, en fin de compte, l’interprète juge-t-il son auteur ? « Son système philosophique, écrit M. Nève, aura perdu son crédit, lorsque ses principes de philosophie sociale inspireront encore les esprits et les œuvres des générations à venir. La théorie des milieux ne trouve plus de défenseurs : quelques-uns s’en serviront peut-être encore comme d’un « meuble à compartiments », selon le mot de M. Anatole France ; l’esthétique de Taine subit de la part de plusieurs écrivains allemande des critiques sévères et dont plusieurs paraissent décisives ; ses mérites d’historien sont contestés par M. Autard et l’école nouvelle ; sa psychologie a été dépassée et on l’oublie. Seule sa psychologie sociale trouve encore d’ardents défenseurs. Nous dirions volontiers que seule, elle mérite d’en trouver » (p. 349-350). M. Nève est catholique, et explique ici, avec toute la clarté désirable, comment il arrive qu’un penseur nullement catholique, nullement chrétien, pas même spiritualiste, ait cette fortune d’être admiré aujourd’hui, d’une manière presque exclusive, par l’école catholique. Ce qu’on apprécie chez Taine, à Louvain et ailleurs, c’est le conservatisme social. Encore faudrait-il bien entendre la nature singulièrement « utopique » de ce conservatisme.