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Taine était devenu, dans son pays, un « déraciné » ; plus il avait étudié les lettres et les institutions anglaises, plus il avait éprouvé un dégoût profond pour toutes les traditions de la politique française. Ses Origines expriment tour à tour un même sentiment de mépris et de haine, à l’égard de tous les partis qui, de 1789 à 1815, se sont disputé le pouvoir en France. Son vœu, ce fut toujours apparemment que l’histoire de France pût avoir été l’histoire d’Angleterre. C’est un vœu que l’influence du « moment », sans parler de la « race » et du « milieu », rendaient, selon les formules mêmes de sa doctrine, impossible à exaucer : on conçoit que sa philosophie politique ait été pessimiste et chagrine.

Philosophie de la religion, par H. Höffding, traduite par J. Schlegel, 1 vol. in-8 de xi-376 p., F. Alcan, Paris, 1908. — On n’ignore pas que cet ouvrage du philosophe danois, dont M. Schlegel nous présente une traduction, date déjà de plusieurs années et qu’il est contemporain des conférences de M. W. James sur Les variétés de l’expérience religieuse. La coïncidence et les analogies des deux œuvres sont bien faites pour suggérer une comparaison ; il nous suffira de signaler ici celle que M. Höffding lui-même a esquissée dans ses Philosophes contemporains.

Dans une préface remarquable, l’auteur nous explique comment il est parvenu, par un développement continu et progressif, à sa philosophie de la religion ; et il en résume les idées directrices (p. vi-vii). Il part d’une hypothèse qui est un vrai postulat et qu’il appelle : l’axiome de la conservation de la valeur, par analogie et par opposition avec l’axiome de la conservation de l’énergie. Ce principe exprime à ses yeux l’essence même de la religion. L’examen philosophique qui a pour but de justifier ce postulat comprend trois parties d’étendue et d’importance inégales : 1o le problème épistémologique (74 p.), 2o le problème psychologique (210 p.) et 3o le problème moral (59 p.).

La critique de la connaissance établit que la religion ne résulte pas de motifs purement intellectuels et qu’elle ne nous donne pas une explication rationnelle et métaphysique de l’univers.

La partie psychologique, qui est de beaucoup la plus intéressante, contient des observations exactes et de fines analyses : notons la description des principaux types religieux (p. 111-124). L’étude de la foi et de l’expérience religieuse, le développement des représentations, dogmes et symboles, montrent que le besoin religieux naît d’une impulsion à affirmer la conservation de la valeur. Et comme la personne humaine est le théâtre, à la fois le spectateur et l’acteur dans la lutte pour les valeurs, c’est en définitive au cœur même de la vie personnelle que la religion a sa source permanente.

La partie morale, considérant les effets du besoin religieux, reconnaît qu’en somme il contribue à la découverte de valeurs nouvelles et au maintien des anciennes. La religion n’est peut-être pas une hypothèse nécessaire à la direction de la vie morale ; mais elle tend à en augmenter l’énergie et la valeur. On peut dire en ce sens qu’elle est une forme de la vie spirituelle, dont la disparition ne saurait s’effectuer sans dommage ; et, à supposer qu’elle doive s’accomplir, il reste la question de savoir s’il est possible de développer à sa place une forme de vie nouvelle et équivalente. « L’examen philosophique ne peut qu’indiquer la possibilité de ces nouvelles formes ; leur création réelle est l’œuvre de la vie elle-même (p. xi). »

Cet ouvrage contient beaucoup des qualités qu’on pouvait attendre de son auteur Mais on peut se demander si la thèse fondamentale a toute la solidité requise. Il nous semble que l’axiome de la conservation de la valeur est une idée trop extensive et insuffisamment définie, pour caractériser la religion. À considérer de près l’histoire et la psychologie des religions, on ne tarde pas à voir que cette forme primitive et persistante de la vie sociale et individuelle implique de nombreux facteurs qu’il n’est pas facile de ramener à l’unité. Peut-être la philosophie réussirait-elle mieux dans sa tâche, si, au lieu de poursuivre une essence chimérique, elle se contentait de dégager des données réelles une hiérarchie idéale des motifs et des fins de la religion. En tout cas, même si l’on admet que les représentations religieuses n’ont pas une signification directement objective et métaphysique, il n’en reste pas moins vrai que la religion, par le seul fait de son existence, de sa nature et de ses effets, pose à la pensée un problème d’ordre métaphysique, dont M. Höffding ne semble pas s’être préoccupé.

Nous croyons devoir, sans insister, signaler à l’attention du traducteur un certain nombre de coquilles aux pages suivantes : ix, 15, 21, 120, 123, 124, 134, 313, etc.

Gesammelte Werke von A. Spir. — Vol. 1 : Denken und Wirklichkeit, Versuch einer Erneuerung der kritischen