Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 2, 1908.djvu/17

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la théologie et de la christologie. » – Une réinterprétation de la religion en termes d’immanence résout, en apparence et pour un temps, les difficultés soulevées par une insistance outrée sur la transcendance ; mais l’immanence, comme toute théorie de la réalité ultime, porte en elle un système d’antinomie. L’immanentisme, avec son unification facile, supprime plutôt qu’il n’explique ce fait irrationnel d’expérience, le mal ; il ne rend pas compte de ce qu’il y a de plus profond en nous, de notre relation à Dieu, du sens de dépendance avec lequel le chrétien va au Christ. Envisagée comme un effort pour donner une synthèse sans antinomies, la théologie nouvelle n’est pas plus heureuse que l’ancienne : comme explication de l’expérience chrétienne, elle lui est très inférieure ; elle marque un recul, et elle est un appauvrissement de cette expérience fondamentale. « Par révélation ou vérité prophétique, conclut le P. Tyrrell, j’entends cette expression directe et spontanée de l’expérience religieuse, qui fait elle-même partie de cette expérience, et qui, comme telle, est le produit non pas de la réflexion théologique, mais de l’inspiration divine. »

Le P. Tyrrell est revenu sur ce point dans un important article, paru en janvier dernier, sur l’avenir du modernisme. Il y dégage bien l’opposition radicale qui existe entre la méthode historique de Newmann et la théologie scolastique. « Si la scolastique est essentielle au catholicisme, il faut jeter Newman par-dessus bord. » Mais le modernisme prétend, précisément, dissocier du système rigide de la scolastique l’ensemble flexible de la tradition catholique, réconcilier la foi catholique avec les résultats de la critique historique ; il n’est pas, comme la scolastique, le terme ou l’arrêt d’un mouvement, il est mouvement, tendance ; « il ne demande pas une théologie nouvelle ou la suppression de la théologie, mais une théologie qui se meuve et se développe, — une théologie soigneusement distinguée de l’expérience religieuse dont elle est l’expression toujours imparfaite, toujours perfectible ». Quel que doive être le succès des efforts des modernistes, une chose est sûre : c’est que la conception médiévale, juridico-scolastique, du catholicisme est destinée à disparaître. Le renouvellement se fera, dans le clergé, par la pression de l’extérieur, et surtout par l’acquisition de connaissances historiques et du sens de l’histoire.

Il est intéressant de noter que le P. Tyrrell a été l’un des premiers à faire connaître en Angleterre la philosophie de M. Bergson ; il a donné dans le numéro de janvier un long compte rendu de l’Évolution créatrice (p. 425-442).

M. Sonnenschein (Le nouveau stoïcisme, avril) signale la parenté de la théologie nouvelle avec le stoïcisme : même conception moniste de l’univers, même doctrine centrale d’un Dieu intérieur s’exprimant par la fraternité humaine. Il discerne une veine de stoïcisme très visible dans la littérature morale de l’Angleterre, depuis la Renaissance, depuis Shakespeare, jusqu’à Carlyle, en passant par les Quakers. – M. Warde Fowler (Religion et droits civiques dans l’ancienne Rome, juillet) montre comment, à Rome, la croissance de l’État a arrête le développement de la religion romaine, qui, chez les premiers colons latins, était un sentiment, religio, et qui se réduisit de plus en plus à un jus divinum soumis au contrôle de l’État et de ses fonctionnaires. — C’est l’Étatisme aussi qui a étouffé la doctrine morale dans le Calvinisme, nous dit le Rev. T. C. Hall, professeur au Séminaire de l’Union à New-York (Jean Calvin fut-il un réformateur ou un réactionnaire ? octobre). Calvin n’a fait que substituer à l’impérialisme catholique une autre autorité tyrannique, celle de l’Église des Saints, fondée sur la Bible, et hors de laquelle nulla est speranda peccatorum remissio ; les magistrats, l’État, ont reçu de Dieu le pouvoir de maintenir dans toute sa pureté et son intégrité la vraie Église ; on doit leur obéir comme à Dieu, qu’ils représentent. « Calvin fut logique avec lui-même lorqu’il livra Servet à l’État pour qu’il lui infligeât la peine méritée. » Calvin fut essentiellement un aristocrate — les Presbytériens ont été fidèles à son esprit, — et un adversaire de la démocratie. Toute sa morale est bâtie sur une autorité externe, sur le système fermé inclus dans le Verbe écrit ; c’est une doctrine dualiste, conforme à l’esprit légaliste du Moyen âge. Si Calvin a pu rendre quelques services à la pensée morale, c’est parce qu’il a échoué dans son effort pour établir une hiérarchie sacramentelle protestante en face de Rome ; mais la morale protestante doit être cherchée ailleurs, dans ce qui est sorti de Luther, chez Kant. « Calvin a été le dernier, mais non pas l’un des plus grands parmi les scolastiques : saint Thomas lui est très supérieur comme penseur moral. » — Signalons encore, dans le numéro d’octobre, deux articles sur l’Inde : l’un, de M. Macnicol sur l’action et la réaction du christianisme et de l’hindouisme dans l’Inde ; l’autre de Maud Joynt sur l’évangile de Khrishna et celui du Christ.